1959-2019 : Le Conseil de l’entente à 60 ans retour sur la naissance de xette institution sous regionale

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Né le 29 mai 1959, le Conseil de l’Entente, organisation sous régionale regroupant, à sa naissance, le Dahomey, la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta et le Niger (et plus tard le Togo), a connu son âge d’or pendant les trois décennies qui ont suivi sa création. Cette période coïncide avec les années passées à la tête de la Côte d’Ivoire par son initiateur, le président Félix Houphouët-Boigny. Dans un climat particulier de décolonisation, le premier ministre d’alors, de la République de Côte d’Ivoire, n’a ménagé aucun effort pour le mener à l’existence.
Comment et dans quel contexte est né le Conseil de l’Entente? Pourquoi le président du RDA s’est-il tant investi pour sa création?

A mesure que l’étau du colonialisme se desserrait peu à peu autour des peuples africains, différentes visions du continent prenaient formes dans l’esprit de ces principaux leaders. Elles furent dans bien des cas, le produit des expériences, du ressentis et des séquelles endurés par ces personnalités. La perception qu’ils avaient de l’Afrique fut aussi influencée par le contexte politique international marqué par les oppositions Est/Ouest, Communistes/Capitalistes, Etats-Unis/URSS.

I- FELIX HOUPHOUET-BOIGNY, LE REFUS DE DISSOLUTION DANS LES THESES UNITAIRES FEDERALISTES ET PANAFRICANISTES
Les responsables africains partageaient, dans les années 50, l’espoir d’une Afrique unie, l’espoir de l’unité des peuples. Les principaux tenants étaient le Ghanéen Nkrumah et le député du Sénégal, Senghor. Si le premier souhaitait bâtir les Etats-Unis d’Afrique (panafricaniste), le second était favorable à la constitution d’une fédération (réunissant les pays d’expression française) sur les ruines de l’AOF. Mais, le président du RDA, le plus grand mouvement politique d’Afrique de l’Ouest, n’était ni partisan de la fédération prônée à Dakar et à Bamako encore moins de l’unité panafricaine chère au Ghanéen Nkrumah.

1- Les thèses panafricanistes et les craintes d’un endoctrinement idéologique
Les thèses défendues par Nkrumah s’insurgeaient vivement contre la domination et la spoliation de l’Afrique par les Européens.
Dès l’accession à l’indépendance de son pays où il est porté comme premier ministre, il se donne la mission de lutter pour l’accession à l’indépendance des pays africains. Il s’active, au gré des conférences et autres rencontres, à dénoncer l’impérialisme européen contre qui il appelle à l’unité, et à la constitution des Etats-Unis d’Afrique, projet auquel il invite tous les territoires et Etats à souscrire. Muni de son bâton de pèlerin, il arpente les territoires africains engagés sur le chemin de l’autonomie. Son objectif est d’expliquer la nécessité et l’urgence de l’union de l’Afrique ; une union, en un seul Etat, avec un gouvernement supranational, capable de défendre ses intérêts face aux prédateurs capitalistes, impérialistes de l’Occident, désireux de maintenir le continent dans un état d’asservissement permanent, et contre qui il était indispensable de rompre.
Cette approche révolutionnaire n’acquérait pas l’assentiment d’Houphouët. Car, il n’était un secret que, l’Afrique avait besoin d’aide et de soutien pour tenter de combler l’immense fossé qui le séparait des autres continents. Et de surcroît, comme partenaire, le premier ministre ghanéen entendait prendre appui sur les Soviétiques communistes désintéressés et solidaires des peuples sous- développés.
Pour Houphouët qui avait fait l’expérience d’une collaboration avec les communistes, le panafricanisme ou l’uniformisme portait en lui-même des gènes d’endoctrinement idéologique, d’une recolonisation et des menaces de conflits et de désunion entre Africains. Il n’était alors, aucunement question, pour lui de fondre son territoire dans un ensemble prêt à se ranger dans le camp du socialisme scientifique. Il le fit d’ailleurs savoir à Nkrumah qui fut son hôte en avril 1957 (un mois après l’indépendance de la Gold Cost devenue Ghana) en l’invitant à poursuivre sa propre expérience et le laissant suivre la sienne.
Alors qu’Houphouët, pense s’être libéré d’une unité absorbante à visée idéologique, le voilà confronté, à la fin des années 1958 et surtout au tout début des années 1959, à une réapparition énergique du projet de fédération portée par Senghor.

2- L’incrédulité d’Houphouët vis-à-vis de la Fédération du Mali

La constitution de la fédération de l’Afrique Occidentale Française (AOF) était un vœu du député du Sénégal Léopold Sédar Senghor, depuis le début des années 1950. Elle consistait à maintenir l’ensemble AOF en un seul tenant avec un gouvernement exécutif fédéral. Mais, l’adoption de la loi-cadre, en 1956, conféra une certaine autonomie des territoires vis-à-vis (et surtout) des organes régionaux tels que l’AOF et l’AEF. Malgré ce revers, le projet d’un exécutif fédéral demeure vivace dans l’esprit de ses plus fidèles partisans qui parvinrent à transmettre leur foi à d’autres leaders du continent, membres du RDA comme Modibo Kéita, Sékou Touré.
Au lendemain, du référendum de 1958, l’idée d’un fédéralisme interterritorial refit surface et se précisa avec le tandem Léopold Senghor-Modibo Kéita. Houphouët y était hostile ; il était plutôt favorable à l’unité des territoires avec la France—pays évolué—dans le cadre de la communauté franco-africaine pourvoyeuse de progrès économique et social des territoires. Il ne croyait pas à la viabilité d’une fédération africaine. Car, elle poserait d’énormes problèmes de gestions et de mise en valeur tant l’inadéquation entre les immenses étendues de terre, marquées par d’importantes disparités géographiques et la pénurie de ressources humaines qualifiées, était criarde.
A côté de ce défi administratif, une autre difficulté d’ordre économique pointait à l’horizon : celle de la centralisation des recettes fiscales à Dakar qui ordonnerait en retour les dépenses dans les différents territoires. Houphouët, l’homme fort, de la colonie la plus prospère n’en voulait pas, il refusait de s’engager dans une aventure qui ne présentait aucune garantie de stabilité politique tant les questions de leadership demeuraient pendantes, et laissaient entrevoir la possibilité d’une vassalité par rapport à un autre Etat. Pour lui, Senghor et Modibo Kéita n’avaient pas les moyens de la politique qu’ils vantaient.
Au lendemain de la constitution de la Fédération—qui prend le nom du Mali—en 1959, les Assemblées territoriales respectives du Dahomey et de la Haute Volta votent pour l’adhésion à cette fédération, rejoignant ainsi le Soudan (actuel Mali) et le Sénégal. Un pas significatif est posé ; le projet fédéral est dans sa phase pratique. Mais, Houphouët n’entend pas rester inactif.
Comme alternative, à la fédération conçue, selon lui, dans la prématurité et une évidente impréparation, portant des germes conflitogènes et de désunion, à l’instar de la vision unitaire d’Accra, il envisage la constitution d’une unité souple et non contraignante.

II- LE CONSEIL DE L’ENTENTE, UN EXEMPLE D’UNITE SOUPLE

Le type d’unité proposé par Félix Houphouët-Boigny, à l’inverse de celles qui étaient promues ici et là, était respectueuse des spécificités et de l’autonomie de chaque territoire.

1- L’unité dans l’autonomie ou la naissance du Conseil de l’Entente

Pris entre deux brasiers susceptibles de l’étouffer et de réduire à néant ses rêves de progrès pour la Côte d’Ivoire et, partant, pour la sous-région ouest africaine, Félix Houphouët-Boigny prend conscience de la nécessité d’une réaction immédiate pour rassurer les pays qui, comme lui, rejetaient le fédéralisme aofien et plus encore, le panafricanisme. Ne pas réagir, reviendrait à subir et l’exposerait à terme, à l’isolement et le contraindrait en définitive à fléchir. Au lendemain alors de la constitution du Mali, la Côte d’Ivoire par la voix de son premier Vice-président, Yacé Philippe, annonce que son pays, le Niger et la Mauritanie (territoires ayant expressément rejeté la Fédération du Mali) conçoivent de dialoguer ensemble avec la métropole. Il n’exclut, toutefois, pas d’être rejoint par la Haute Volta ; prédiction qui se réalisa moins de deux mois plus tard. Les liens entre Houphouët et Yaméogo étaient si forts qu’ils poussèrent le leader voltaïque à quitter, dès le 28 février 1959, ses nouveaux copains.
L’immensité du défi que représentait la Fédération du Mali et son caractère plus ou moins astreignant, avec l’existence d’un exécutif, étaient autant de faiblesses qu’exploita la Côte d’Ivoire qui proposa en échange, une unité où chaque Etat conserverait son autonomie tant économique que politique, avec à la clé une solidarité entre ses membres. La Côte d’Ivoire, le Niger et la Haute Volta, en parfaite symbiose, signèrent, en avril 1959, par le biais de leurs responsables respectifs, un protocole d’accord. Les prémices de la future organisation furent ainsi posées. Mais, Houphouët ne sembla pas encore satisfait.
Ayant perçu, déjà en février 1959, les doutes du Dahomey à l’égard du Mali, qu’il quitta quelques semaines après, Houphouët n’hésita pas à courtiser ses responsables. Il leur présenta son unité, qui se singularisait par l’égalité des différents leaders (avec une présidence tournante), des territoires et du respect de leur autonomie. L’entité ou la structure prônée par Houphouët serait dotée d’un fond de solidarité alimenté par chaque pays à hauteur de 10% de son budget annuel. Le 29 mai 1959, elle vit le jour… La Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute Volta et le Niger donnèrent ainsi naissance au Conseil de l’Entente, en rejetant toute superstructure politique et administrative ; allusion claire à l’unité fédérale et à celle des Etats-Unis d’Afrique.
2- Le Conseil de l’Entente dans la diplomatie ivoirienne

En 1960, quand les verrous de la dépendance politique des territoires français d’Afrique se mettent à tomber, la Côte d’Ivoire ne se présente pas seule devant la puissance coloniale. C’est de concert avec ses pairs de l’Entente, avec qui elle forme un bloc, que les discussions sont menées sur les modalités du transfert des compétences. Après deux semaines de tractation, un accord est conclu, le 11 Juillet 1960.
Au lendemain des indépendances, le Conseil de l’Entente permet à la Côte d’Ivoire à travers son leader Félix Houphouët-Boigny d’avoir une influence considérable sur l’échiquier continental. L’Entente devient en effet une antichambre où l’Ivoirien affine avec ses homologues ses positions avant de les étendre aux pairs francophones puis à une autre échelle plus grande. Ses Etats membres constituent pour Houphouët une courroie, mais aussi un soutien politique de taille.
C’est justement à partir de l’Entente, et sur la base de ses acquis que s’est tenue la rencontre d’Abidjan et de Brazzaville d’octobre et décembre 1960, puis de l’Union Africaine et Malgache en mars 1961—regroupant douze Etats dont le Sénégal.
Des différents types d’unité portés par les leaders africains, celle préconisée par Félix Houphouët-Boigny, par sa souplesse, a triomphé avec la création du Conseil de l’Entente. Cette conception a fait école sur le continent, et l’Entente a servi de rampe de lancement de la diplomatie ivoirienne.

LEOBLE B. Célestin (Docteur en Histoire Contemporaine)
leoblecelestin@gmail.com

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