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Accueilli jeudi 31 octobre 2019, à son retour de la Russie par des populations qui l’ont ovationné de l’aéroport jusqu’aux Palais présidentiel, le Président guinéen, Alpha Condé, n’a pas fait de discours à son arrivée, laissant intacte la tension qui couve dans le pays depuis les manifestations de l’opposition qui lui reproche des envies d’un troisième mandat.
Juché sur un siège-avant, dans la partie décapotable de son véhicule, le poing droit levé en guise de salutation , Alpha Condé est rentré chez lui sous le coup de dix-neuf heures, après avoir été happé depuis 11 heures par la foule.
À 81 ans, le chef de l’État guinéen avait voulu , à travers cet accueil, montrer qu’il était en bonne santé et qu’il pouvait encore tenir debout alors que son pays amorce une nouvelle période de turbulences.
À Conakry, les dernières manifestations de l’opposition ont laissé des traces. Une partie de la direction du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) a en effet été interpelée la veille de la marche du 17 octobre 2019, et six personnes parmi ses leaders ont été écrouées par la justice. Ces premières condamnations ont créé un début de polémique autour de la grâce présidentielle mais aussi au sujet du nombre des victimes de la marche, l’opposition évoquant treize morts tandis que le gouvernement n’en reconnait que trois dont deux dans la commune de Ratoma, fief du leader de l’opposition Cellou Dalein Diallo, et un à Mamou, un gendarme notamment, à environ 240 km de la capitale.
Par ailleurs, les circonstances de l’enlèvement des corps des victimes continuent de préoccuper les enquêteurs. Selon l’opposition, les corps ont été enlevés par la Croix rouge Guinée qui a confirmé l’information. Une seule ambulance a contribué à l’enlèvement de quatre corps sans satisfaire aux mesures protocolaires en vigueur, en présence d’un médecin légiste pour éviter d’éventuelles manipulations. Car il y aurait eu des cas de manipulation sur des cadavres dont certains ont transité par des cliniques dont les responsables sont réputés proches de l’opposition.
Par ailleurs, des écoutes attesteraient que les responsables de la Croix rouge Guinée et des organisateurs de la marche sont entrés en contact quelques heures avant la marche, certains des échanges ayant duré plusieurs heures. En tout cas, le procureur devrait lancer son enquête dans les prochains jours. Ce qui devrait encore contraindre l’opposition à attendre alors que celle-ci commence à s’impatienter et veut enterrer ce qu’elle appelle ses morts.
Pour contraindre le chef de l’État guinéen à lâcher du leste, l’opposition a en effet choisi d’investir le front de la communication. Mais il va lui falloir attendre la fin des enquêtes qui dureront encore des mois pour enterrer les morts.
Pendant ce temps, un calendrier électoral doit en effet voir le jour dans les prochains jours, avec les élections législatives qui auront bien lieu, surtout que depuis plus d’un an le mandat des députés est arrivé à expiration.
Le pays est également sous la férule d’une constitution qui est une compilation de lois corporatistes. En janvier 2010, des accords dits de Ouagadougou avaient été négociés sous la médiation de Blaise Compaoré pour mettre fin à la gouvernance des militaires qui commençaient à s’éterniser. Ces accords prévoyaient la création d’un conseil national de transition dès février 2010 et l’adoption du projet d’une nouvelle constitution suivie en mai de la même année la promulgation de celle-ci par ordonnance.
La commission de relecture nommée par ordonnance a ainsi permis de « procéder à la relecture et à l’adoption des dispositions constitutionnelles, des lois organiques et des textes électoraux relatifs au bon déroulement du processus électoral » de « jouer tout rôle législatif en rapport avec le processus de transition » et « d’assurer le suivi et l’évaluation de l’action gouvernementale », ainsi que « l’évolution du processus électoral en particulier les activités de la CENI et contribuer à la réconciliation nationale ». La Guinée n’a donc pas eu de constitution au terme de la transition militaire. En revanche, la classe politique avait décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur en laissant le soin au vainqueur de l’élection présidentielle de convoquer une constituante.
En attendant, le projet de constitution devenait la constitution du pays. Une constitution que les partisans du président Condé qualifient de corporatistes, y compris l’ancien premier ministre guinéen de la transition Jean-Marie Doré. Pour lui, « certains avaient intérêt que ce texte confus qui a créé des institutions qui se chevauchent les unes sur les autres soit adopté comme ça. Vous allez voir si on crée les institutions, il y aura une confusion de compétences de la cour constitutionnelle, la cour des comptes et la cour suprême. Il fallait réfléchir pour savoir quel est l’espace réservé à la presse, à la chambre d’agriculture, à la chambre de commerce, au gouvernement, à l’assemblée nationale. C’est très important les concepts de libertés, de parti politique ; il fallait que ça soit bien défini pour éviter qu’il y ait des chevauchements dangereux », assure-t-il pour justifier l’urgence d’une nouvelle constitution plus moderne et mieux écrite.
Son analyse reste d’actualité puisque le président guinéen considère que la constitution d’aujourd’hui rend (par ailleurs) le fonctionnement du pays difficile puisque nous sommes obligés de faire des accords politiques qui sont contraires à la constitution. Pour Condé il faut une nouvelle constitution qui s’adapte aux réalités et enjeux du monde d’aujourd’hui. « Cela n’a rien à voir avec le troisième mandat », assure-t-il.
JEANNE TETIAHONON