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Parce qu’elle ouvre un espace budgétaire important, l’annulation de la dette de l’Afrique permettrait aux Etats de mobiliser les fonds dont le continent a besoin pour faire face à la menace du coronavirus. Cette annulation, que tous les Chefs d’Etat doivent demander, ne peut se faire qu’à une condition : la responsabilisation des décideurs publics.
L’allégement de la dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), une initiative lancée en 1996 par le FMI et la Banque Mondiale, a semblé être l’une des clés de la lutte contre la pauvreté. William Easterly, un économiste américain, spécialiste de l’économie du développement, a analysé l’effet pervers de cette initiative : « la relation entre l’allégement de la dette et le recours à l’emprunt qui s’en suit est intéressante : entre 1987 et 1997, le montant total de l’annulation des dettes de ces quarante et un Etats s’est établi à trente milliards de dollars tandis que leurs nouveaux emprunts se sont élevés à quarante et un milliards. Cela confirme l’hypothèse que l’allègement de la dette est suivi d’un nouvel endettement pour un montant équivalent. D’ailleurs, nous remarquons que le nouvel endettement est d’autant plus massif que le pays a bénéficié d’importantes annulations. »
Le Covid-19 relance l’éternel débat sur la dette publique africaine
La lutte contre la pandémie du coronavirus oblige les Etats africains à mobiliser des ressources importantes au moment même où l’Afrique est devenue l’un des moteurs de la croissance mondiale. La réalisation d’infrastructures économiques et la mise en œuvre de services publics, afin d’assurer son développement, ont demandé des besoins de financement importants couverts, pour l’essentiel, par l’endettement public. Comment maintenir un haut niveau de financement pour le développement économique et abonder au financement des politiques de santé, sachant :
a) que l’encours de la dette publique africaine ne représentait, en 2018, que 1 330 milliards de dollars, soit 57 % du PIB du continent, ce qui semble soutenable ;
b) mais que cette dette publique augmente depuis les années 2010 en s’accélérant entre 2013 et 2017, son poids relatif passant de 35 % du PIB en 2010 à 57 % du PIB en 2018, ce qui conduit aujourd’hui la communauté internationale à s’interroger sur la viabilité de l’endettement des États africains ;
c) et que se profile, comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de chaque Etat qui en bénéficie, la menace de la « dette chinoise », comme à Djibouti où, en deux ans, la dette extérieure du pays est passée de 50 % à 85 % du PIB. Pour les observateurs, les prêts consentis par la Chine vont plonger l’Afrique dans la même situation de surendettement qui prévalait avant l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), d’autant plus que les accords passés avec la Chine restent très opaques.
Les composantes de la dette publique africaine
Il faut se souvenir que l’initiative PPTE s’est traduite, dans les années 2000, par des allègements significatifs de la dette publique qui atteignait, à cette époque, les 100 % du PIB continental. Même si le taux d’endettement public moyen de l’Afrique, estimé à 57 % du PIB en 2018, reste encore nettement inférieur aux 100 % du PIB atteints avant l’entrée en vigueur des allègements de dette, les besoins de financement de la lutte contre le coronavirus risquent de mettre un coup de frein brutal au processus de développement de l’Afrique, si l’on se contente, comme à chaque crise, d’un simple allègement de la dette.
La dette est composée de prêts consentis a) par les bailleurs de fonds (FMI, Banque Mondiale), b) dans le cadre d’accords bilatéraux, c) obtenus sur les marchés financiers. A côté des créanciers institutionnels et des organisations internationales, une partie de la dette africaine appartient au secteur privé.
Il ne faut pas oublier les « fonds vautours » qui spéculent en achetant à bas prix la dette des Etats africains en difficulté avec l’objectif de réaliser un profit maximal. Les actions qu’ils conduisent en justice contre ces Etats leur permettent de récupérer le nominal de la dette auquel s’ajoutent les intérêts.
Le ministre des Finances somalien, Abdirahman Dualeh Baileh, alors que son pays travaille avec le FMI depuis trois ans pour l’annulation totale de la dette de la Somalie, résume ainsi la situation : « Il y a de nombreux créditeurs, à la fois des institutions internationales et des pays, et chacun a ses propres contraintes, ses propres programmes et ses propres considérations. »
Un Appel que doivent lancer les Chefs d’Etats africains
Au début des années 1990, les réponses traditionnelles de rééchelonnement ou d’allègement de dette n’ont pas permis de résoudre les difficultés financières des Etats africains. Les pays riches, avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, ont alors choisi d’annuler en quasi-totalité la dette africaine. Les effets pervers de cette annulation sont bien connus. Il s’agit donc, pour l’Union Africaine, de définir, avec le FMI et la Banque Mondiale, les critères d’éligibilité à l’annulation de la dette. Ces critères ne peuvent pas passer par l’extension des mécanismes du marché, en particulier la privatisation des systèmes de santé.
Face à la menace du Covid-19, l’Afrique doit, de façon urgente : a) renforcer ses services de santé et créer des systèmes de protection sociale, b) préserver l’activité économique et accompagner le secteur informel. Il. appartient donc aux Chefs d’Etats africains, sous l’égide de l’Union Africaine (UA), de lancer un Appel pour l’annulation de la dette publique du continent.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur des Collections
L’Afrique en Marche,
Planète francophone
Directeur de la rédaction du magazine
Parlements & Pouvoirs Africains