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Les vraies raisons du « Kandia bashing »
Les attaques contre Kandia Camara se focalisent sur les fautes de langage qu’elle commet. On pourrait croire que ces attaques se justifient, car un ministre en charge de l’Education nationale est supposé posséder une maîtrise absolue de la langue de Molière. En alimentant le « Kandia bashing » sur les réseaux sociaux, ses détracteurs se livrent-ils à une simple moquerie ? Evidemment, non, car en choisissant de confondre l’accessoire de l’essentiel, ceux qui alimentent le « Kandia bashing » poursuivent un triple but : 1) faire oublier la faillite des systèmes éducatifs en Côte d’Ivoire 2) affaiblir une femme qui incarne la volonté et leadership féminin en politique 3) Contester Alassane Ouattara. Telles sont les vraies raisons du « Kandia Bashing ».
Faire oublier la faillite des systèmes éducatifs en Côte d’Ivoire
Pour de multiples raisons, abondamment documentées, les systèmes éducatifs en Afrique sont loin de répondre aux besoins du continent : crises politiques, guerres civiles, coût de l’éducation pour tous est hors de portée de la plupart des États, souvent fragiles ou faillis. Dès l’élection d’Alassane Ouattara, en avril 2011, le gouvernement est décidé à reconstruire le système éducatif ivoirien avec, comme pilier, l’école obligatoire. Le lundi 13 juillet 2015l,e Président Alassane Ouattara déclarera : « l’éducation et la formation de la jeunesse sont des leviers sur lesquels nous devons agir avec célérité pour mettre à notre pays d’atteindre les objectifs du millénaire et aller sereinement vers l’émergence. » Il a ajouté « le projet école obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans dénommé « Politique de scolarisation obligatoire » constitue l’une de nos grandes ambitions ». Pour la première fois, avec Kandia Camara, un ministre de l’éducation nationale est en charge d’une « Politique de scolarisation obligatoire » pour tous les enfants de 6 à 16 ans. Le débat sur l’éducation est, en Côte d’Ivoire, permanent, mais peu de choses avancent. Pour porter ce projet de « l’école obligatoire pour tous », il faut une volonté politique, celle affichée par le gouvernement Ouattara, et une forte personnalité capable de porter, au-delà des annonces, un « projet historique ». Mme Kandia Camara soumettra pour examen à l’assemblée nationale, le 17 septembre 2015, le Projet de loi garantissant l’accès à tous les enfants âgés de 6 à 16 ans à l’école. L’école obligatoire de 6 à 16 ans est l’un des piliers d’une réforme globale qui vise à enrayer le déclin du système éducatif ivoirien. Beaucoup a été fait, des moyens ont été dégagés, mais, beaucoup reste à faire et des moyens considérables devront être mobilisés, après la crise du Covid 19, afin de poursuivre la reconstruction du système éducatif ivoirien, le rendre plus démocratique. La question de la reconstruction de l’école est multiforme, depuis celle des élèves qui s’entassent à 100 dans une classe jusqu’à celles du niveau des élèves, des méthodes pédagogiques, de la formation et du salaire des enseignants. Kandia Camara a montré qu’elle pouvait être le ministre de la reconstruction de l’école.
Affaiblir une femme qui incarne la volonté et leadership féminin en politique
Certes, Kandia Camara est une enseignante et elle porte un projet de réforme de l’école. Il s’agit, avec l’école obligatoire de 6 à 16 ans mise en œuvre dès la rentrée 2015-2016, de l’engagement politique phare du Président Alassane Ouattara en matière d’éducation. Le projet est éminemment politique qui vise à bâtir une société de l’intelligence et du savoir, comme ont su le faire les pays du sud-est asiatique (Singapour) ou de l’Asie de l’Est (Corée du Sud) à partir des années 1980-1990. Il ne s’agit pas d’imiter de façon mécanique les pays d’Asie, mais bien d’établir le lien entre les performances d’un système éducatif et la consolidation d’une économie avec une croissance forte et durable. Le projet est éminemment politique aussi, parce qu’il bouleverse les codes des sociétés traditionnelles en installant une étape décisive bers vers l’égalité réelle entre les hommes et les femmes et l’autonomisation des jeunes filles africaines, souvent réduites au rôle de « petites bonnes » de la maison. La crise du Covid 19, qui a entraîné la fermeture des écoles, risque de provoquer un phénomène inquiétant que l’on constate après une épidémie : de nombreuses jeunes filles ne reprennent pas le chemin de l’école. Kandia Camara est une personnalité politique qui occupe des fonctions importantes au sein de l’appareil d’Etat et au RHDP. Elle est écoutée. Son expérience politique est un atout dans le poste qu’elle occupe. Elle est bien l’incarnation de la volonté et du leadership féminin en politique, avec l’ambition de reconstruire l’école pour changer la société et le monde. Elle fait souvent référence à cette phrase de Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde.»
Le « Kandia bashing », une manière de contester Alassane Ouattara
2020 est une année électorale en Côte d’Ivoire (si l’élection présidentielle est maintenue en octobre). L’effervescence politique va s’amplifier, ce qui est normal, l’opposition jouant tout naturellement son rôle et il lui appartient de proposer un projet de reconstruction de l’école. La démocratie ne peut pas entretenir l’illusion du consensus. Le fait nouveau est l’existence des réseaux sociaux qui sont devenus un espace de tromperie et de manipulation en politique. L’occupation du terrain numérique est un enjeu majeur, avec la « viralisation » de certains contenus comme le « Kandia bashing ». Les réseaux sociaux servent dans ce cas à détruire une image en oubliant l’essentiel (le fond et l’action) pour s’arrêter à l’accessoire. A travers le « Kandia bashing », c’est en réalité l’action du Chef d’Etat qui est contestée et le soutient qu’il apporte à sa ministre, investie de responsabilités politiques majeures.
Christian Gambotti
Professeur Agrégé
Spécialiste des questions d’éducation
Président du think tank
Afrique & Partage