Éditorial : En plus de la crise sanitaire du Covid-19, l’Afrique ne peut pas se permettre de subir une crise alimentaire due au criquet pèlerin (Par Akinwumi Adesina)

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Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour enrayer la pandémie de Covid-19. Alors que cette lutte mobilise l’attention du monde entier, une nouvelle crise, qui pourrait provoquer encore plus de victimes, se prépare en Afrique avec l’invasion massive de criquets.

Dans toute l’Afrique de l’Est, des milliards de criquets pèlerins sont en train de dévaster notamment le Kenya, la Somalie, l’Éthiopie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda et Djibouti. Selon différentes informations, leur nombre devrait augmenter et être multiplié par 400 d’ici à juin 2020, plaçant ainsi la région en situation de crise.

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que, si la situation n’est pas rapidement maîtrisée, cinq millions de personnes supplémentaires seront confrontés à une crise alimentaire à l’horizon de juin en Afrique de l’Est.

Une course contre la montre sans précédent a commencé pour réduire de toute urgence la progression et l’impact potentiellement dévastateur d’une double menace meurtrière pour des milliers d’Africains : le Covid-19 et les criquets pèlerins.

Nous savons tous que les pluies sont bonnes pour les récoltes. Mais quand les pluies abondantes créent aussi un environnement favorable à la reproduction des criquets, la joie et les promesses d’abondance qu’elles devaient apporter font soudainement place à l’accablement que provoque la perspective d’une famine. La meilleure des périodes est-elle en train de devenir la pire ?

La reproduction des populations de criquets a augmenté de façon massive. Une invasion de criquets est un fléau qui se déplace avec des effets dévastateurs : imaginez un tapis de criquets pouvant être constitué de 150 millions d’individus couvrant un kilomètre pour chaque kilomètre carré. Réfléchissez au fait qu’ils peuvent dévorer des cultures en une seule journée qui, elles-mêmes, pourraient nourrir environ 35 000 personnes (2). En Afrique de l’Est, où la FAO estime qu’environ 20 millions de personnes sont déjà en situation d’insécurité alimentaire, les conséquences seront dévastatrices (1) (2).

La crise provoquée par les criquets pèlerins fait son apparition au moment même où le continent doit faire face à la pandémie de Covid-19. Ce sont deux situations difficiles à affronter.

Aujourd’hui, malheureusement, les choix de millions de pauvres sont étrangement similaires : rester confiné et éviter de mourir du coronavirus ou mourir de faim en restant chez soi.

C’est ce qui est déjà en train de se produire. Il y a quelques jours, des émeutes provoquées par la faim ont éclaté à Kibera, le plus grand bidonville du Kenya : les gens se sont piétinés les uns les autres, contrevenant aux instructions données en matière de distance physique minimale à garder entre individus – recommandées pour enrayer la propagation du coronavirus – pour se procurer de quoi manger. Le coronavirus tue, mais la faim tue beaucoup plus de monde.

À cause du confinement imposé par la pandémie de Covid-19, le personnel chargé de la lutte contre les parasites ne peut pratiquement pas sortir pour pulvériser. Bien que les restrictions aient été levées pour les avions utilisés pour la pulvérisation, ils demeurent dans la quasi-impossibilité, à cause du dérèglement des chaînes d’approvisionnement (3), d’accéder aux produits chimiques.

Il semble bien que ceux qui parviennent à échapper à la pandémie de Covid-19 seront bientôt confrontés à celle du criquet pèlerin. Rien qu’en Afrique de l’Est, le nombre de personnes touchés par la famine pourrait atteindre 30 millions.

Il existe plusieurs recommandations vitales grâce auxquelles, dès à présent, nous pouvons agir. Il s’agit, premièrement, de la création d’un « canal vert » permettant la libre circulation des aliments et des intrants agricoles ainsi que celle des pesticides destinés au contrôle des attaques de parasites ; deuxièmement, de la mise en place de mesures permettant d’empêcher la hausse des prix des denrées alimentaires en mettant à la disposition des populations, les produits provenant des réserves de céréales du gouvernement et en appliquant une politique destinée à empêcher la constitution de stocks à des fins de spéculation ; troisièmement, du développement rapide et à grande échelle de techniques de production de biens alimentaires dont, notamment, celles portant sur les cultures de base à rendement élevé, à maturation précoce, tolérantes à la sécheresse, et résistantes aux maladies et aux parasites, ainsi que celui de programmes comme le programme phare de la Banque africaine de développement, l’initiative « technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique » (TTAA).

La bonne nouvelle est que la Banque africaine de développement s’est associée à la FAO pour se placer à l’avant-garde de cette course contre la montre sans précédent. La Banque vient d’approuver l’octroi d’un don de 1,5 million de dollars américains à l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et à la FAO pour soutenir les efforts de lutte contre les criquets pèlerins et sauvegarder ainsi les moyens de subsistance en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique. Augmenter l’aide sera néanmoins nécessaire.

S’il y a une chose en ce moment, dont l’Afrique se passerait volontiers, alors que nous luttons déjà contre la pandémie de Covid-19, c’est bien la famine !

Le coronavirus a entraîné la communauté internationale sur une voie imprévisible. Heureusement, nous sommes capables de prévenir la crise provoquée par les criquets et d’y mettre fin. Pour que cela se produise, nous devons tous nous rallier à la FAO pour apporter les 153 millions de dollars nécessaires. 

La crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 ne peut pas et ne doit pas être suivie d’une crise alimentaire due à l’invasion des criquets pèlerins.

Par Akinwumi Adesina

Président de la Banque africaine de développement (www.AfDB.org), Ancien ministre de l’Agriculture du Nigeria, Prix mondial de l’alimentation en 2017.

Source: African Development Bank Group (AfDB)

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