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La Maca (Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan), la plus grande prison civile de Côte d’Ivoire, située dans la capitale économique du pays, n’est pas épargnée par la maladie à Coronavirus 2019, d’autant plus que l’établissement pénitentiaire fait face une surpopulation carcérale, avec des pensionnaires qui dépassent plus de 500% la capacité d’accueil. Le pire est-il à craindre ?
Le mercredi 11 mars 2020 les autorités ivoiriennes ont annoncé le premier positif à la Covid 19 dans le pays. Près de deux semaines après, face à la rumeur faisant état de plusieurs cas dans les prisons du pays, Boubakar Coulibaly, le Directeur de l’Administration Pénitentiaire (DAP), a précisé le lundi 23 mars 2020, qu’aucun cas de Coronavirus n’avait été confirmé à la MACA, contrairement aux informations relayées par certains organes de presse qui signalent que deux détenus étaient touchés.
«Le vendredi 20 mars 2020, 39 personnes ont été déférées à la MACA. Ces personnes ont été placées dans un local d’observation, conformément aux mesures sécuritaires et sanitaires préconisées par le Conseil National de Sécurité avant leur intégration dans les cellules. Parmi ces personnes déférées, deux avaient subi des blessures par balle lors de leur arrestation à la suite d’un échange de coups de feu avec les forces de l’ordre. Ces deux personnes placées en observation ont ressenti de vives douleurs au niveau des blessures et ont eu la fièvre. Les consultations faites par le personnel médical de la MACA ont révélé que la fièvre était due aux blessures et les tests effectués ont établi que ces personnes n’étaient pas infectées par le coronavirus et que seules leurs blessures devaient être soignées. (…) Il n’y a donc pas de cas avérés de personnes infectées au coronavirus. Toutes les dispositions sont prises pour assurer l’exécution des mesures sanitaires et sécuritaires annoncées par le Gouvernement au sein de tous les établissements pénitentiaires de Côte d’Ivoire », avait-il alors ajouté.
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Pourtant disant avoir été eux-mêmes atteints de la Covid-19, des pensionnaires de la prison ont affirmé le contraire de ce que le responsable des prisons du pays avait indiqué. Ces détenus ont accepté de témoigner en demandant à bénéficier de la protection des structures chargées de la défense des droits de l’homme.
Informé de cette préoccupation, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) dirigé par Namizata Sangaré, a préconisé : « Nous vous suggérons d’écrire votre article avec leurs initiales. S’il s’appelle Claude Dassé, par exemple, écrivez CD, en attendant de trouver le mécanisme approprié de protection de ces détenus ».
Approché après une première alerte au mois de juin 2020, SD a affirmé ceci le 16 juillet 2020 : «Vous vous souvenez que nous en avions parlé il y a quelques semaines. Comme bien d’autres prisonniers, j’ai été testé positif à la Covid-19, à la suite d’un dépistage volontaire. Car à la MACA, ce n’est pas obligatoire. Nous étions neuf au départ et avions été mis en quarantaine au sein de la prison, sous des tentes dressés pour l’occasion sur l’espace destiné à la Croix Rouge situé à proximité de la morgue de la prison. Puis on nous a isolés sur un terrain du CHU de Yopougon avant de nous envoyer ici, dans l’enceinte du Vitib (Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie) de Grand Bassam. Mais depuis le mois de juin 2020 à aujourd’hui, le nombre de malades ne cesse de croître. A la date du 19 juin 2020, il y avait 31 cas de la Covid-19 dont 2 gardes pénitentiaires. Aujourd’hui les chiffres ont grimpé à près d’une centaine de cas et les gens n’en parlent pas, je ne sais pas pourquoi ».
L.D, détenu se disant atteint également de la Covid-19 et confiné pendant plusieurs jours selon lui, dans un recoin de la MACA, a de son côté indiqué ceci : « Il y a deux semaines, nous étions une soixantaine de personnes confinées sous la bâche. Certains qui au départ avaient été testés négatifs sont aujourd’hui positifs parce qu’on nous mélange avec les nouveaux détenus. On ne fait aucune différence. En plus, nous ne recevons aucun soin parce que personne ne nous approche comme si on avait peur de nous. Comme je vous l’avais dit la dernière fois, nous avons appelé, via nos familles, ‘’le 179’’ et la personne au bout du fil de ce standard leur a répondu qu’ils vont faire remonter l’information avant de conseiller qu’il faut que nos parents se constituent en Association des parents de prisonniers atteints de la Covid-19 de la MACA, là peut-être, le gouvernement va nous entendre. C’est donc toujours un SOS que nous lançons à travers vous. Nous sommes malades mais personnes ne veut s’occuper de nous ».
Interrogé le jeudi 16 juillet 2020, sur un manque de transparence possible lié aux cas de Covid-19 au sein de la plus grande prison ivoirienne, Paul Allé, le Directeur de Communication et des Relations Publiques du Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique a eu la réaction suivante : « Dans le cadre de notre communication, si on précisait des cas concernant la MACA, on devrait aussi préciser des cas qui sont dans toutes les entreprises. Si on devrait donner des détails des cas-là, on devrait en faire partout. Même au niveau du Ministère, il y a eu des cas. Mais concernant les cas à la MACA, je ne sais pas parce que je n’ai pas encore eu un document officiel me l’indiquant. Depuis un moment, l’ordre a été donné de ne pas diffuser des informations donnant des précisions pour des raisons de respect de la vie privée et des données personnelles. On donne les chiffes par District sanitaire et par régions sanitaires. (…) La MACA, par exemple, c’est dans la commune de Yopougon-Ouest donc on attribue ces cas au district sanitaire de Yopougon qui gère la MACA. On donne toujours par district sanitaire parce qu’on ne donne pas par commune mais, par district sanitaire ».
Le 15 juin 2020 déjà, nous avions évoqué au téléphone, la même préoccupation à Bernard Kouassi, directeur de Cabinet du Ministère de la Justice et des droits de l’Homme qui avait réagi en ces termes : «Je ne saurai vous répondre parce que ce n’est pas moi qui gère ce dossier».
C’est dans ce contexte que le collectif du personnel de Santé exerçant au sein des prisons ivoiriennes, a annoncé une grève pour le mercredi 22 juillet 2020, en guise de protestation contre la non attribution de la « prime exceptionnelle covid-19 ».
Dans un courrier adressé à cet effet à la presse, daté du samedi 18 juillet 2020, et signé de son porte-parole l’ingénieur-biologiste Potamnan Camara, ledit collectif mentionne clairement le nombre de cas à la MACA : « Il est important de souligner aussi que nous sommes engagés effectivement dans la riposte contre la Covid-19 en milieu carcéral car nous avons enregistré à ce jour 91 cas positifs de Covid-19 transit de longue durée sur la MACA».
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A la même date, le Directeur de l’administration pénitentiaire, Boubakar Coulibaly, qui avait animé une conférence de presse, avait parlé de «6 détenus déclarés positifs à la MACA».
A cette occasion, Boubakar Coulibaly qui dressait le bilan du Coronavirus dans les prisons ivoiriennes, avait précisé : « Nous avons durement été éprouvés par la Covid-19. La pression qui était la nôtre à la MACA était terrible quand la pandémie a commencé. Il fallait ériger des locaux pour le confinement des nouveaux détenus qui venaient. Mais, la situation actuelle a évolué. Il n’y a pas de nouveaux cas de Covid-19 à la MACA. Nous avions 55 cas dans le centre de transit de la MACA, 40 ont été déclarés négatifs, 6 détenus ont été déclarés positifs. Pour plus de précautions et avant de les ramener au sein de la population carcérale, un deuxième test est en cours pour 9 détenus ».
Dans son exposé, le Directeur des affaires pénitentiaires avait également indiqué qu’à la prison de Dabou, 3 cas positifs ont été enregistrés et 2 autres, à Abengourou, dont un est guéri, selon lui.
[Qui dit la vérité, ou qui veut manipuler les chiffres de victimes de Covid 19, dans les prisons ivoiriennes…]
Face à cette interrogation, GBALET Pulchérie, Présidente de Alternative Citoyenne Ivoirienne (ACI), en a appelé au sens de responsabilité l’Etat, et aux partenaires nationaux et internationaux : « En tant que Organisation de la société civile, interpellée par la vie des détenus dans nos différentes prisons, lorsqu’il nous avait été donné de constater des choses inacceptables, nous nous étions empressée de faire notre part en produisant trois (03) Déclarations, concernant particulièrement cette MACA dont l’économie de votre enquête journalistique plante le décor. Ces déclarations avaient été respectivement faites le 13 avril 22 mai et 26 juin 2020.
Aussi avions-nous suggéré de multiples propositions à l’endroit du Gouvernement, lesquelles propositions se déclinaient ainsi qu’il suit : une rigoureuse exécution des 02 décrets du 8 avril 2020 portant libération, non seulement des 2004 prisonniers que lesdits décrets visaient, sur la base de critères objectifs, à savoir tenir compte des motivations sanitaires édictées par l’OMS en riposte à la pandémie de la Covid-19, mais, dans l’intérêt d’une transparence, s’obliger à publier la liste nominative des prisonniers effectivement libérés en vertu de ces mesures de grâce portées par les 2 décrets que nous avons rappelés plus haut. (…) En effet, l’OMS avait clairement indiqué que les détenus d’un certain âge (50ans et plus), et, ceux souffrant de certaines pathologies chroniques graves, telles l’hypertension artérielle, le diabète, les affections cardiaques etc., étaient les plus vulnérables à la Covid-19 en milieu carcéral. À l’occasion, nous avions suggéré que, s’agissant de tels critères internationaux, le gouvernement ivoirien devrait cette fois-ci s’abstenir, comme il en avait pris l’habitude, d’exclure du champ d’application de ces mesures sanitaires, certains détenus dont les prisonniers militaires, les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion qui méritaient au demeurant d’être privilégiés en la circonstance. Car, selon les chiffres effrayants en notre disposition, il faudrait en libérer 14 011 pour respecter la capacité d’accueil de toutes les prisons de Côte-d’Ivoire, soit 12 007 de plus. Pour la seule MACA, on a 6390 prisonniers en surplus. Pour reconquérir la normalité, il faudrait donc en libérer au moins la moitié, soit 3 195. (…)
Malheureusement, selon nos investigations, une multitude de détenus, déclarés malades, et confinés dans un coin de l’infirmerie, près de la morgue, attend toujours d’être adressés à des centres spécialisés en vue de soins. Serait-il excessif ou erroné dès lors de faire observer que ces détenus n’attendent que la mort ? Il faut relever qu’au tout début de la pandémie, les premiers cas détectés à la MACA avaient été adressés au CHU de Yopougon en construction et au vittib de Grand Bassam. (…)
Il faut dire que, face à cette pandémie, la Côte d’ivoire n’est pas le seul pays auquel il avait été demandé de prendre des mesures afin d’assainir les prisons dont la promiscuité est un véritable terreau pour l’expansion de cette grave maladie. (…) Mais, chez nous, en Côte d’ivoire, même l’exécution des 02 décrets du 8 avril 2020 dont on ignore à ce jour, le nombre exact de bénéficiaires effectifs, n’a débuté que plus d’un mois après sa signature comme si, pour les hauts responsables ivoiriens de la question, il n’y avait pas péril en la demeure ou si pour eux, être emprisonné était synonyme de condamnation irréversible à la mort. (…) C’est à croire qu’en Côte d’ivoire, les prisonniers ne jouissent d’aucun droit.
Il faut donc continuer d’exposer toutes les atteintes aux droits de l’homme envers les prisonniers. (…) D’ailleurs, il nous était revenu qu’une liste des détenus remplissant les conditions émises par l’OMS avait été arrêtée à la demande pressante de la Croix rouge qui est un grand partenaire précieux des prisons. Mais, il nous est également revenu que sur cette liste figurant beaucoup de détenus d’opinion, les décideurs ont donc décidé de l’enfouir dans leur tiroir ».
La MACA a officiellement ouvert ses portes le 10 mai 1980, pour accueillir 1500 prisonniers. À la date du mercredi 29 avril 2020, elle accueillait 7533 prisonniers, soit plus de 500% de sa capacité initiale d’accueil. En juillet 2020, les chiffres ont dépassé la barre de 8000 prisonniers.
La surpopulation de cet univers carcéral, comme des autres prisons ivoiriennes peut provoquer un terreau de contagion en masse, contre la maladie à coronavirus 2019. Cela impose davantage de transparence et une plus grande ouverture dans l’observation de la maladie et surtout la diffusion de l’information, pour éviter la propagation des rumeurs et des fausses nouvelles, en cette période délicate.
Claude Dassé