Dernère publication
La reconstruction de la Côte d’Ivoire, au cours de la décennie Ouattara, s’est faite sur une idée libérale qui était déjà celle d’Houphouët-Boigny : consolider l’économie, car, avant de distribuer les richesses, il faut les créer.
Au moment de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny, convaincu par les thèses libérales, sait aussi qu’il ne peut y avoir de rupture entre l’économie et le social. Dans le livre qu’il publie en septembre (1), Justin Koffi revient sur les valeurs de l’houphouétisme, une philosophie politique qui refuse d’être une doctrine figée et qui prône l’adaptation aux circonstances. Justin Koffi nous renvoie à cette phrase d’Houphouët-Boigny : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social des plus hardis. » La question sociale est toujours posée, jamais résolue. Justin Koffi nous invite, toujours dans son livre, à méditer sur cette phrase d’Houphouët-Boigny, prononcée lors du 5ème Congrès du PDCI-RDA, le 30 octobre 1970 : « ce que veut l’Ivoirien, c’est le partage de la richesse et non de la misère. » Mais, Houphouët-Boigny ajoute aussitôt : « Et pour ce faire, il doit, avant tout, contribuer à créer ces richesses », affirmant ainsi le lien qui existe entre le développement économique et le progrès social.
Depuis 2011, les grandes orientations des politiques publiques ont consolidé l’économie ivoirienne, qui est devenue l’une des plus performantes d’Afrique. Alassane Ouattara, formé à l’école du FMI, peut se prévaloir d’un « second miracle ivoirien », après celui d’Houphouët-Boigny, qui avait permis à la Côte d’Ivoire, de 1960 à 1970, de présenter un PIB en croissance de 10,4 %, devant la Corée du Sud, Singapour et la Malaisie. D’ailleurs, Alassane Ouattara n’hésite pas à se présenter comme l’héritier de Félix Houphouët-Boigny grâce à ses résultats économiques. Le successeur désigné d’Alassane Ouattara, Amadou Gon Coulibaly, véhiculait aussi cette image de parfait économiste. Chacun se rappelle qu’en 2011, Alassane Ouattara, Amadou Gon Coulibaly et toute l’équipe héritent d’un pays fracturé qu’il faut reconstruire. Le programme économique, libéral, permettra grâce au soutien des bailleurs, une croissance annuelle de 8 % pendant la décennie Ouattara, ce qui rappelle le bond en avant de la période 1960-1978, quand l’économie ivoirienne était tirée par le boom des exportations de matières premières brutes (café, cacao et bois non transformés). Grâce à ces exportations, le pays, sous Houphouët, battait aussi des records de détention de réserves de change.
Ce « second miracle ivoirien » des années 2010-2020 a-t-il véritablement profité aux assiettes des Ivoiriens ?
Amadou Gon Coulibaly avait fait de 2020 l’année du social avec la mise en place d’un ambitieux programme gouvernemental, afin de répondre aux attentes des populations, sans renoncer à consolider l’économie et à industrialiser le pays.
Justin Koffi, qui dirige l’ARRE, met en avant le programme de transformation locale des matières premières. Aujourd’hui comme hier, ce sont à peine 5 % des fèves de cacao qui sont transformés localement, ce qui expose le pays aux chocs exogènes (chute des cours des matières premières).
La nomination d’Hamed Bakayoko : un choix politique tourné vers le social
Hamed Bakayoko est un pilier du régime Ouattara. S’il a été choisi, c’est parce que, en contrepoint de la réussite économique du pays, il existe une insatisfaction permanente, qui peut s’amplifier avec la crise sanitaire qui existe et la crise politique qui peut s’inviter dans le cadre du processus électoral.
Des secteurs de l’économie sont au ralenti . La pauvreté n’a pas été éradiquée , alors que, déjà, le revenu d’un Ivoirien sur deux reste inférieur à 2,5 dollars par jour, seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale. Au niveau de l’éducation, de la santé, de l’emploi, du logement, de la sécurité, beaucoup reste à faire.
Hamed Bakayoko doit afficher, avec le même gouvernement, une volonté forte de redistribution des richesses. Avant la crise de la Covid 19, Marc Wabi, associé du cabinet Deloitte à Abidjan affirmait que « la Côte d’Ivoire se porte bien économiquement, mais pas socialement ». Marc Wabi préconisait « une aide aux plus démunis sur le modèle de la « Bolsa Familia », un programme social brésilien, afin de subventionner les produits de première nécessité des familles envoyant leurs enfants à l’école, et il voyait aussi comme « une urgence la généralisation d’une couverture maladie universelle pour les très pauvres ». Pour certains observateurs, en cette période électorale, l’agitation sociale, doublée à la crise sanitaire, pourrait déboucher sur des troubles ou des tensions identiques à ce qui se passe au Mali.
Dans ce contexte, Hamed Bakayoko véhicule une double image : d’abord, celle d’un ministre qui, de 2011 à aujourd’hui, s’est toujours mis en capacité de protéger les Ivoiriens. En 2011, il est nommé ministre de l’Intérieur et de la sécurité. Avec l’appui du chef de l‘État ses initiatives ont permis de maintenir l’ordre, et maintenir la stabilité du pays. En juillet 2017, nommé ministre de la Défense, Hamed Bakayoko a su maîtriser une révolte des casernes qui avait commencé en 2014, évitant ainsi au pays de plonger dans le chaos. Ensuite, il véhicule l’image d’un élu local proche du peuple. Lors des élections d’octobre 2018, il est élu maire d’Abobo, une commune pauvre de plus d’un million d’habitants, avec près de 59 % des voix, loin devant son principal adversaire, qui n’a obtenu que 21 % des voix.
Pour un cadre du RDR, « quand il y a péril en la demeure, Hamed est souvent l’ultime recours ». Hamed Bakayoko est bien autre chose qu’un « ultime recours ». Il est en mesure de rassembler, sans compromissions électorales, la famille des houphouétistes, autour des valeurs prônées par le Père de la Nation. Il est aussi en capacité de mobiliser la jeunesse. Il a gardé des liens étroits avec le MEECI (Mouvement des Elèves et des Etudiants de Côte d’Ivoire), une association très houphouétiste.
Il appartient à Hamed Bakayoko, sur un temps très court, de montrer qu’il incarne pleinement le RHDP, une force politique capable de réconcilier l’économie et le social, mobiliser la jeunesse et protéger les Ivoiriens, avec bien entendu l’aile protectrice du Président Alassane Ouattara, qui reste le mentor et la boussole pour lui.
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain)
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains
(1)Justin Koffi, « La Côte d’Ivoire au défi du social – D’Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara – 1960-2020 », parution septembre 2020.