La chronique du lundi-Ouattara ou le rêve d’un destin à la Mandela

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Réélu président de la République, félicité par toute la communauté internationale, Ouattara, même s’il a présidé le premier conseil politique postélectoral de son parti, le Rhdp, sait qu’il travaille à présent pour l’Histoire, au-delà de la nécessité, pour lui, de poursuivre l’œuvre engagée depuis 2011.

Travailler pour l’Histoire, cela ne signifie pas uniquement faire de la Côte d’Ivoire un pays prospère. Il s’agit d’accomplir quelque chose de plus difficile et qui est de : faire aboutir le projet d’Houphouët-Boigny : bâtir la nation ivoirienne, une et indivisible. Ce projet a quelque chose de prométhéen dans une Côte d’Ivoire hantée depuis 1993 par le spectre des affrontements ethniques et l’instauration du concept d’ « ivoirité ».
Certes, l’élection du 31 octobre 2020, malgré ce que dit le Rapport d’Amnesty International, n’a pas mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang et il n’y a pas eu de chaos électoral, mais les tensions demeurent, car les chantres du désordre cherchent à maintenir une atmosphère de crise postélectorale. Il était donc urgent que soient renoués les fils du dialogue politique. Alassane Ouattara a pris l’initiative d’appeler Henri Konan Bédié. Plus d’une semaine après leur rencontre, le processus de négociation est-il véritablement lancé ? Quels sont les obstacles qui demeurent ? S’agit-il uniquement de répondre aux conditions, « des préalables non négociables » que pose Bédié qui vient d’annoncer la suspension du dialogue avec Ouattara, précisant que « la lutte continue et continuera ». Ce discours de fermeté tenu par Bédié sur le registre de la surenchère vise à faire croire qu’il est encore le maître du temps politique. Apparence trompeuse, la réalité est moins glorieuse. Ouattara a besoin d’un interlocuteur pour nouer les fils du dialogue politique et accomplir son destin. Henri Konan Bédié, affaibli et isolé après l’échec du CNT, une voie sans issue, est le seul opposant que le gouvernement ne cherche pas à inquiéter, alors que le Secrétaire Exécutif du PDCI –RDA, Maurice Kakou GUIKAHUÉ , et Pascal Affi N’Guessan, le Président du Fpi-officiel, sont dans le collimateur de la justice.
Quant à Laurent Gbagbo, il a donné des signes d’apaisement et il se souviendra qu’Alassane Ouattara peut bien l’aider à se débarrasser d’Affi N’Guessan qui ne renonce pas au Fpi, malgré son infortune actuelle.
Alassane Ouattara est bien le maître du jeu et sa force politique, qui est évidente, le conduit à rêver d’un destin à la Mandela, l’homme qui est entré dans l’Histoire en renonçant à la vengeance.

Vaincre la fatalité des fractures ethniques

Ma conviction est que la boussole du président Alassane Ouattara n’est plus l’échiquier politique ivoirien, mais bien le jugement de l’Histoire.
Consolider l’économie, promouvoir des politiques sociales, sortir de la crise engendrée par la Covid 19, ouvrir le dialogue politique, laisser l’opposition se réorganiser dans la perspectives des législatives, ce sont des évidences qui appartiennent à l’Histoire immédiate, contingente. Mais, parce qu’il rêve d’un destin à la Houphouët-Boigny, ou à la Mandela, et que ses adversaires restent enfermés dans les jeux politiciens de conquête du pouvoir, Alassane Ouattara veut voir aboutir, de façon définitive, le projet de la réconciliation et vaincre la fatalité des fractures ethniques. Politiquement, il n’a plus rien à prouver : il a su conquérir le pouvoir et le conserver. Sous son action, la Côte d’Ivoire s’est transformée. La vraie difficulté est ailleurs. Elle se situe là où les réalités de l’Histoire et le poids des fractures ethniques qui taraudent la société ivoirienne font que, depuis la mort du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, en 1993, les élections ont toujours été, en Côte d’Ivoire, des élections de crise, débouchant sur un coup d’Etat (1999), une crise politico-militaire (2002), une crise postélectorale (2010-2011). Même si le processus électoral de la présidentielle de 2020 n’a pas mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang, des violences graves se sont produites et les tensions demeurent.
Pour Emmanuel Macron, « il est maintenant de [la] responsabilité [d’Alassane Ouattara] d’œuvrer pour la réconciliation, de faire les gestes, d’ici aux élections législatives, pour pacifier son pays ». Le pays a toujours été pacifié sur de courtes périodes. Alassane Ouattara porte son regard plus loin et, dans son esprit, le quinquennat 2020-2025 n’est pas le simple prolongement des deux quinquennats précédents. Il s’agit de vaincre le poids de l’Histoire, déconstruire la composition ethnique et le vote géographique des partis politiques, consolider l’idée nationale.

● Vaincre le poids de l’Histoire – Dans une Côte d’Ivoire dont les frontières se fixent entre 1903 et 1945, le fait ethnique est une réalité. La colonisation va alors hiérarchiser les ethnies. Au moment de l’indépendance, le pouvoir politique s’appuie sur un double socle : « l’idéologie ethnocentrique de l’État et l’idéologie aristocratique de l’ethnie » (Mémel-Fotê, 1999). Sous Houphouët-Boigny, l‘attractivité économique de la Côte d’Ivoire et le besoin croissant de main-d’œuvre se traduisent par des vaques successives d’immigration sous régionales. Le pourcentage d’étrangers dans le pays rend prévisible la montée d’une fièvre xénophobe. L’instrumentalisation du concept d’« ivoirité » à partir de 1993 va aggraver les affrontements ethniques. C’’est le poids de cette histoire, dont les plaies sont toujours ouvertes, que doit vaincre Ouattara.
● Déconstruire la composition ethnique et le vote géographique des partis politiques – L’appartenance ethnique structure chaque grand parti politique ivoirien et la géographie électorale. La création du Rhdp parti unifié peut se lire comme une tentative pour créer un mouvement politique « transethnique » et « transgéographique ». Poursuivre dans cette voie est l’un des enjeux du quinquennat 2020-2025.
● Consolider l’identité nationale – Le sentiment ethnique concurrence toujours le processus de construction nationale. La forme politico-administrative ethnique du pouvoir a montré ses limites. Le dernier enjeu du quinquennat 2020-2025, et non des moindres, est de montrer que les ethnies (la tradition) et l’Etat (la modernité) ne sont plus des pôles antithétiques.
Rêver d’un destin à la Mandela, ce n’est pas renoncer à exercer le pouvoir.

Christian GAMBOTTI,

Agrégé de l’Université,
Président du think tank
Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections
L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction
du magazine Parlements & Pouvoirs africains

 

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