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La question du CFA, les relations des pays francophones d’Afrique avec la France, la désinformation, et l’actualité en France sont entre autres les sujets d’actualité abordés par notre invitée de la semaine. Elle estime que le continent africain reste une terre fertile à la désinformation et milite pour que les discours populistes soient tenus à l’écart du débat public.
Constantine Ndoko, consultante indépendante en management d’équipe, en gestion d’entreprise et contributrice à « L’Intelligent d’Abidjan » fait le tour de l’actualité géopolitique internationale. Elle répond aux questions de la rédaction. Selon Constantine Ndoko, lAfrique est une terre fertile à la désinformation, et les discours populistes doivent être tenus à l’écart. Entretien !
L’actualité politique en France
L’intelligent d’Abidjan : Avant les législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, nous avons vu les résultats des élections européennes en France avec la majorité pour le Rassemblement national de Marine Le Pen, qu’est-ce que cela vous inspire comme réaction ?
Constantine Ndoko : C’est sûr qu’autour de moi des jeunes sont inquiets pour leurs chances d’aller chercher un autre avenir en France, s’ils en éprouvent le besoin. Je ne suis pas spécialiste de la constitution de la France, mais il semble qu’il leur sera délicat de gouverner dans les années à venir. Certains points méritent d’être analysés. Par exemple, le RN fait son entrée parmi des populations minoritaires (banlieues, Antilles) et se pose défenseur de ces minorités tout en les réduisant, parfois, à leurs origines ethniques. Je pense que de l’intérieur, il sera difficile de tirer des conclusions définitives. Un peu comme lorsqu’on étudie les mouvements radicaux djihadistes, toujours beaucoup plus complexes quand on les observe de plus près. En tout cas, ces élections, vues de l’extérieur proche, génèrent des inquiétudes. Mais, elles sont également les conséquences d’inquiétudes qui sont déjà là dans les populations. Maintenant, il convient à tout le monde de s’interroger sur la rationalité de certaines peurs observées par les citoyens.
Le rassemblement national
IA : Pensez-vous que vraiment l’extrême droite peut gagner en France, une élection présidentielle ?
CN : Je ne suis pas dans le secret des urnes, mais c’est une possibilité mathématique désormais. Ça sera intéressant de voir l’importance du Sénat par rapport à l’assemblée des députés, car il y a deux assemblées en France (ils disent chambre « haute » pour le Sénat, qui doit garantir la continuité des institutions selon un juriste français de mes connaissances).
IA : Cela vous fait-il peur ?
CN : D’abord, je suis pas française donc non, ça ne me fait pas « peur ». Mais ça ne m’empêche pas de m’inquiéter pour les autres…
IA : Cela dit, de Obama à Trump et de Trump à Biden aux USA, de la gauche à l’extrême droite en Italie, de Renaissance à l’extrême droite en France, est-ce que les alternances dans des pays démocratiques changent vraiment les choses ?
CN : Voir ma réponse précédente pour le Sénat et la continuité des institutions. La Belgique a survécu pendant plus d’un an sans gouvernement. C’est d’ailleurs un élément qui explique la radicalisation des opinions. C’est justement parce qu’ils ont le sentiment que rien ne bouge que les gens se radicalisent. La question qui m’intéresse le plus, ici, c’est les répercussions sur les accords et la coopération internationale. Or ces pays restent des États de droit, globalement, donc on peut s’attendre à une forme d’inertie. Pour l’environnement par exemple, je ne crois pas qu’il y ait eu un vrai changement depuis la COP21 alors que certains politiciens comme Trump promettaient de sortir des pays engagés avant son élection.
Désinformation et sentiment anti-français
La désinformation et la fakenews
IA : N’avez-vous pas le sentiment d’une sorte de désinformation ou propagande contre la France dans ses relations avec les pays africains ?
CN : Pour rester d’abord sur le terrain de la crise politique française, les citoyens français sont soumis à des manœuvres d’influences étrangères, c’est sûr. Elles sont dénoncées par les autorités, mais sans beaucoup d’effets. Ça ne ralentit pas la propagation des fake news sur Tiktok (« soldats français en Ukraine », « lingots d’or dans les valises », « les français arment les terroristes au Sahel »). Forcément, les mêmes forces à l’œuvre se retrouvent en Afrique de l’Ouest, comme avec le GPCI par exemple, qui cible la France avec son réseau de trolls, de faux médias, de pages, qui n’ont rien à envier aux autres outils de propagande. Malheureusement, le continent africain reste une terre fertile à la désinformation et certains, malintentionnés avec un agenda néfaste, en profitent.
IA : À cet effet, que pensez-vous de la réalité du sentiment anti français, dans un contexte où la France elle-même, est tentée de se barricader et de rejeter l’autre avec la montée des extrêmes de droite ou de gauche en France, chez les français qui sont des formes de peur de l’autre et de l’étranger ?
CN : Pour le contexte, je laisse les journalistes français essayer d’expliquer ce qui se passe chez eux… Mais c’est un fait, le sentiment de rejet, peu importe qui en est la victime, procède des mêmes mécanismes. Je ne crois pas que la haine jaillisse naturellement, comme ça. Français ou pas, nous sommes tous pareils. Il y a d’abord des craintes, ensuite des conditions qui nous laissent penser que nous sommes sans défense, et ensuite seulement nous avons ce réflexe de désigner le responsable de nos maux. …et il est toujours plus facile d’aller chercher plus loin la justification de nos échecs.
IA : Des populations africaines semblent applaudir les difficultés du président Macron. S’il y’avait eu par une cohabitation avec l’extrême droite, avec le RN majoritaire au parlement, qu’aurait gagné l’Afrique ?
CN : Je pense qu’il ne faut pas confondre l’antipathie qu’on peut avoir pour une personne qui nous irrite, avec les milliers de relations que les gens, les entreprises, les ONG, les écoles, les artistes, les diplomates, nouent entre eux au fil du temps. Et justement, l’Afrique peut gagner ce qu’elle se donnera les moyens d’obtenir par elle-même. Je refuse de considérer que mon avenir dépend des soubresauts d’un pays lointain. Nous n’avons peut-être rien à gagner avec la crise française, mais ce n’est pas un problème pour nous je pense.
Le franc CFA et les relations économiques
IA : Le rassemblement national peut-il être un allié des populations qui luttent pour la démocratie, et contre les régimes autoritaires et militaires en Afrique ?
CN : Je ne connais pas de gens du rassemblement national, encore moins leur politique étrangère. Mais je suis certaine que la lutte contre les régimes autoritaires en Afrique et pour la démocratie est nécessaire pour construire un monde apaisé et qui se développe au profit de tous.
IA : Quelle est votre appréciation de l’absence de la France et du monde francophone développé dans les minerais en Afrique, au profit de la Chine et de la Russie ?
CN : Les marchés sont ouverts par les gouvernements, leur répartition traduit la volonté de ceux-ci de développer certains partenariats plutôt que d’autres. Les sociétés militaires privées en Afrique ont besoin de trouver des ressources sur place. Car, elles se rémunèrent grâce à leur exploitation et en contrepartie de la protection qu’elles offrent à certains gouvernements. La République Centrafricaine en est un exemple parlant.
De la question du Franc
IA : Un autre débat est celui du franc CFA, pensez-vous qu’il s’agit d’une monnaie qui plombe la croissance des pays dont c’est la monnaie ?
CN : Cet argument est aussi celui de Marine Le Pen et Salvini. C’est un sujet énorme. De fait, les billets sont imprimés en France, la monnaie est arrimée à l’Euro, dans un sens comme dans l’autre. Ce qui offre des garanties que n’offrent pas encore les économies africaines. Mais si le marché européen s’effondre, alors il faudra reconsidérer notre intérêt. Car, en effet ça peut ralentir la croissance de certains pays, un peu comme le pari britannique avec le Brexit.
IA : Si tel est le cas, quelle réforme faire pour améliorer la compétitivité des pays utilisant le francs CFA ?
CN : La réflexion est en cours avec la mise en place de l’ECO, dont l’objectif est de pallier aux contraintes que les pays utilisateurs connaissent avec le FCFA. Les discours populistes doivent être tenus à l’écart, car il faut garder la tête froide. Il faut faire les choses dans l’ordre. Mais il est tout à fait évident que le FCFA, en l’état actuel des choses, mérite des réformes.
IA : Quel commentaire faites-vous sur le caractère colonial et non autonome d’un CFA, du fait de son histoire ?
CN : La réflexion sur le FCFA retient qu’initialement « franc des colonies françaises d’Afrique », il est devenu « franc de la communauté financière africaine » ou « franc de la coopération financière en Afrique », selon la région considérée. Mais l’héritage est là, et le symbole demeure. La réflexion sur l’avenir du FCFA et de l’ECO inclut cette dimension d’inventaire du passé colonial. C’est toutes les relations existantes ou à créer qui sont repensées aujourd’hui. De chaque côté de la Méditerranée, des nouvelles générations de décideurs, d’acteurs économiques, vont dans ce sens.
IA : Cette monnaie n’a-t-elle pas le mérite d’exister alors que sur 54 pays africains l’on a 39 monnaies, avec le risque d’en avoir 54 si le CFA disparaît ?
CN : À cette question, je regarde ce qui s’est passé pour la construction du marché unique européen… ils ont mis quasiment un demi-siècle à parvenir à un marché unique ! Oui, la route est longue, mais si l’objectif est partagé par une majorité de pays africains, il est toujours permis d’y travailler. À titre personnel, je garde ce rêve d’une économie africaine ouverte et apaisée en tête, et je sais que le modèle actuel ne correspond pas aux aspirations des gens. C’est suffisant pour se mettre au travail non ?
Propos recueillis par Charles Kouassi