Suite et fin de l’interview exclusive avec Alexis Dieth, enseignant-chercheur : Mon choix entre Kemi Seba et le juge kenyan David Maraga est …

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Dans la première de son interview parue samedi dernier, Alexis Dieth, après s’être davantage présenté, avait expliqué entre autre, les raisons de son engagement sans concession contre l’ivoirité. Dans cette seconde et dernière partie, il aborde plusieurs autres sujets, aussi bien sur la Côte d’Ivoire, qu’ailleurs. Il évoque notamment à quelle condition, selon lui, l’ex Président Laurent Gbagbo, pourrait être pardonné et libéré.

 

Que pensez-vous du fait que le débat public ivoirien, ou du moins sur les réseaux sociaux, soit un lieu d’injure et de la violation des bonnes manières de courtoisie ? Cela doit-il inquiéter ou est-ce un épiphénomène qui passera ?

C’est malheureusement le résultat de la décennie de polarisation et de crispation identitaire qui a divisé la Côte d’Ivoire en des camps qui se considèrent comme des ennemis. Les réseaux sociaux étant un espace de rencontre, l’analogue numérique de l’agora, l’espace publique réel de la cité,  la violence des propos sur les réseaux sociaux doit inquiéter assurément, car elle témoigne d’une crise grave du sens civique, de la fraternité, du respect réciproque, du sens commun qui permet aux citoyens de partager leurs différences, et s’enrichir réciproquement dans cet espace de rencontre. À mon sens les réseaux sociaux sont un baromètre qui doit permettre aux pouvoir publics de mesurer les urgences.

 

Certains estiment que c’est le reflet de la haine entre populations ivoiriennes, et que les réseaux sociaux sont un exutoire, la réponse à un manque d’espace de débats publics et contradictoires, des face et face et conférences, que le public pourrait aller suivre , comme on va par exemple suivre des concerts…. ?

Les citoyens qui le pensent ont raison. L’anonymat des pseudos favorise le défoulement et les excès. Il est donc impératif d’ouvrir le débat public ivoirien dans les espaces institutionnels de dialogue démocratique. Les débats publics et contradictoires sur les problématiques concernant la vie de la cité sont une composante vitale de la démocratie. Un espace de dialogue et d’argumentation rationnelle qui développe la raison publique, grâce à laquelle l’intérêt général et le bien commun peuvent  être défendus et préservés dans la poursuite de nos intérêts particuliers, est nécessaire. Les agoras gbagboïstes de triste mémoire n’ont rien à voir avec ce débat démocratique émancipateur. Et je pense personnellement que la Conférence nationale aurait contribué à ouvrir l’espace du dialogue, à remettre au centre du débat ivoirien la problématique du respect des principes et des valeurs de la République, à réélaborer donc le consensus républicain  à travers la confrontation argumentée.

 

D’autres plaident pour plus de débats télévisés en direct, avec toutes les sensibilités, qui se retrouvent plus souvent sur des plateaux médias extérieurs, au lieu que ce soit sur la RTI.

La RTI, la télévision nationale publique ivoirienne doit être pleinement cet espace de dialogue démocratique, d’argumentation rationnelle contradictoire relativement aux problématiques centrales de la cité. Un usage de la RTI dans ce sens, dans une perspective éducative,  aurait pu contribuer grandement à extirper le nationalisme identitaire qui a pris racine en Côte d’Ivoire grâce à un viol systématique des masses par la propagande politique, une  désinformation et une intoxication mentale systématique. L’une des urgences politiques était alors, non pas d’utiliser la télévision nationale pour faire une contre-propagande, mais de libérer l’argumentation contradictoire pour déconstruire les mensonges qui avaient servi à installer et à légitimer le national populisme en Côte d’Ivoire. Ce travail de déconstruction par le dialogue argumenté, qui contribuera à restaurer pleinement la République,  reste encore à faire

 

Seriez-vous vous-même, prêt à participer à des débats à la télévision,  ou dans d’autres tribunes et espaces ?

Quoique ma préférence aille à l’écriture dans le silence de mon bureau et aux publications des résultats de mes réflexions sur mon site cedea.net, dans les journaux ivoiriens et aussi internationaux, je ne me déroberai pas si je suis sollicité pour débattre à la RTI de sujets d’intérêts publics concernant la vie de la démocratie et de la République en  Côte d’Ivoire et en Afrique.

 

Il y’a la question du Franc CFA, quelle est votre position là-dessus ?

Entre l’activiste identitaire, le suprématiste Noir Kemi Seba brûlant spectaculairement un billet de 5000 franc  CFA et le Juge de la Cour suprême kenyan David Maraga défendant l’autonomie du pouvoir judiciaire contre les empiètements du pouvoir exécutif, je choisis clairement et sans équivoque le geste historique du second. Ce n’est pas le spectacle de foire de Kémi Séba qui libérera l’Afrique noire de la corruption et la domination politique et économique, causes majeures du sous-développement. C’est l’action exemplaire du juge David Maraga, symbole de la rigueur morale et éthique des hommes et des institutions, qui libérera l’Afrique de ses fléaux politiques et économique.    Néanmoins, il est nécessaire d’abroger le CFA pour mettre en cohérence et en coordination la sphère politique et la sphère économique en Afrique Noire à l’ère de la démocratie représentative et de l’économie de marché. Au régime des droits de l’homme fondé sur l’autonomie des personnes et des collectivités, doit répondre en Afrique Noire un régime d’autonomie économique, un marché fondé sur le libre-échange et l’autonomie monétaire. La problématique de l’abrogation du franc CFA est celle de l’abrogation de l’ancien régime de dépendance de la société civile par rapport un État tutélaire qui la tient sous sa dépendance. C’est la problématique d’une société civile transnationale d’Afrique noire qui échange librement sans être soumis à une tutelle politique et économique externe. La société civile internationale émergente d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, en tant qu’espace de marché, doit être capable de représenter une zone monétaire autonome, un espace de libre-échange unifié et libéré de la tutelle d’un État et d’une autorité monétaire extérieurs. À la démocratie politique fondée sur le respect des droits de l’homme et la libre expression des personnes, doit correspondre une démocratie économique, un espace de libre-échange qui mette fin au morcellement et à l’atomisation de marchés enfermés dans les territoires nationaux et monétairement dépendants d’une tutelle économique de nature étatique externe.

 

Pour revenir à l’actualité en Côte d’Ivoire, que pensez-vous de l’affaire des caches d’armes, et de la procédure en cours?

Par principe, la détention de ces tonnes d’armes de guerre dans un domicile privé pose de sérieuses questions. Il ne faut pas oublier que le gouvernement ivoirien et les organismes de l’ONU chargé de ces questions ont, dans le cadre du processus de désarmement, lancé régulièrement des appels récurrents à la restitution de toutes les armes. Il appartient donc à la justice d’instruire le dossier. Le chef d’accusation de mise en danger de la sécurité nationale, qui a été retenu contre le chef du protocole du Président de l’Assemblée nationale me semble justifié. Je ne crois à l’argument du complotisme et de l’ingratitude. Il s’agit au contraire d’une action judiciaire légitime engagée pour préserver la sécurité nationale.

 

Que pensez-vous du sort actuel du Président Laurent Gbagbo ? Votre avis sur les débats relatifs à la Cpi, à sa libération?

L’ex-président Laurent Gbagbo est détenu à la CPI sous le chef d’accusation de crime contre l’humanité. Cette détention est donc  à la fois  légale et légitime au regard du droit international et du droit national ivoirien car la Côte d’Ivoire est signataire  du statut de Rome. Les manœuvres des réseaux  tendant à délégitimer la CPI doivent être vivement dénoncées. Il ne s’agit guère d’un procès politique. Il s’agit bel et bien d’un procès judiciaire dans lequel  il est demandé au chef de l’Etat et à un de ses ministres de répondre de leur culpabilité pénale, de reconnaître leur responsabilité politique et éventuellement morale aux termes d’une guerre civile qui fit des milliers de morts. En droit, une telle situation engage la responsabilité multiforme des dirigeants de la cité et, par-dessus tout, celle de son Président. Une éventuelle demande officielle de libération de Laurent Gbagbo par l’État ivoirien pour des raisons de politique intérieure à savoir la réconciliation nationale  en Côte d’Ivoire, repose sur une seule et unique condition : Laurent Gbagbo doit être pardonné par les victimes et par le peuple ivoirien. Ce pardon, qui scellerait la réconciliation, repose cependant sur  ce préalable incontournable : S’assumant comme responsable suprême de l’État et chef des armées durant la crise post-électorale, Laurent Gbagbo doit reconnaître publiquement sa responsabilité politique et morale dans la catastrophe. C’est une question de cohérence logique, d’éthique politique et d’exigence morale. Il est à souligner que la reconnaissance de cette responsabilité morale et politique par Laurent Gbagbo et par Blé Goudé  ne sauraient aucunement les disculper au plan pénal et judiciaire, si toutefois leur implication directe ou indirecte dans les crimes commis était établie.

 

Que vous inspire le Pdci, et les options prises par son Président Bédié?

En 2010, la décision du candidat  Henri Konan Bédié d’appeler l’électorat du PDCI à voter pour le candidat du RDR, Alassane Ouattara, consacra la victoire du Président Alassane Ouattara, et fut un témoignage éloquent de l’engagement républicain du Président Bédié. La Côte d’Ivoire lui doit le triomphe de la République et de la citoyenneté sur l’ethno-nationalisme et la xénophobie identitaire. Cette décision républicaine salvatrice fut réitérée en 2015 manifestant sa dimension d’homme de conviction. Les Ivoiriens doivent s’en souvenir. Ce geste politique exemplaire, qui a retissé les liens de notre histoire après la rupture identitaire, est à saluer et doit figurer dans les annales de l’histoire politique de notre pays.

 

L’alternance selon la vision du Président Bédié, est-elle possible et réalisable ?

Le ressourcement des parties prenantes du RHDP dans l’Houphouëtisme conseillera des solutions de sagesse. Comme je l’ai souligné dans mes récentes contributions, le PDCI et le RDR, enfants du PDCI-RDA, n’ont d’autres solutions que de coopérer et de s’allier pour conjurer le risque de périr ensemble.

 

Des observateurs craignent qu’une rupture de l’Alliance Rhdp, fasse revenir les vieux démons avec le retour au pouvoir des nationalistes radicaux façon Fpi.

Le risque existe bel et bien qu’une rupture du RHDP, cordon sanitaire républicain et démocratique contre le nationalisme identitaire et l’anti-démocratie, n’entraîne le retour des courants extrémistes, du national-populisme, ne réactive la résurgence des thématiques identitaires et xénophobes qui couvent sous la braise.

 

Peut-on savoir ce que vous pensez du Président de Lider, Mamadou Koulibaly et du Président du Fpi, Affi N’Guessan notamment de leur capacité à incarner, au delà des idées, un leadership pour une offre alternative crédible à laquelle une majorité peut adhérer ?

Ayant me semble-t-il, décidé de rompre avec l’extrémisme identitaire, de reconnaître la légitimité du gouvernement,  de jouer à cette fin son rôle de contre-pouvoir, Affi N’guessan à la direction du FPI, me semble capable d’incarner une opposition socialiste en Côte d’Ivoire. Il est capable d’incarner une social-démocratie en Côte d’Ivoire. La problématique est alors de structurer un programme politique, et un projet sociétal social-démocrate clair à proposer aux Ivoiriens. Voir à ce propos ma contribution du 03-octobre 2016 dans cedea.net « Que faire au FPI pour réinvestir l’espace démocratique ivoirien ? ».

 

Mamadou Koulibaly me semble plus complexe. (Cf cedea.net septembre 2015 « Questions sur le libéralisme de Mamadou Koulibaly. » et Octobre 2015 « Le deal Laurent Gbagbo-mamadou Koulibaly : autopsie d’un naufrage et d’une faillite » 1ère et 2ème partie).

De quelle nature est le libéralisme de Mamadou Koulibaly ? Un libéralisme à préférence nationale ? Un utra-libéralisme ?  Un libéralisme révolutionnaire ? Il y’a une forme de confusion qui devrait là aussi être dénouée pour que les Ivoiriens sachent quel est le projet de société et le programme libéral que Mamadou Koulibaly chef du Lider leur propose ? Cette question est d’autant plus urgente que, lors de la Présidentielle de 2015, le programme politique du Lider de Mamadou Koulibaly s’est révélé  être pratiquement similaire à celui du candidat du RHDP ! ( cf Septembre 2015. cedea.net « La CNC plébiscite le programme politique de Ouattara » ).

 

Quel regard portez-vous sur la gouvernance du Président Alassane Ouattara, et que pensez-vous des soupçons d’un troisième mandat ?

Le Président Alassane Ouattara, conformément à son obédience idéologique clairement assumée, a gouverné la Côte d’Ivoire en libéral s’inspirant de la philosophie politique, sociale et économique de l’Houphouëtisme. Du point de vue du respect des droits de l’homme, la gouvernance du Président Alassane Ouattara  a été exemplaire comparativement aux brutalités de la gouvernance de l’ex-Président Laurent Gbagbo. Du point de vue économique son libéralisme, technocratique et gestionnaire, a été d’abord prioritairement centré sur l’Investissement. Il fallait reconstruire les infrastructures économiques, après plus d’une décennie de déprédation sans oublier que le régime précédent avait pratiqué une politique de la terre avant de céder le pouvoir. Laurent Gbagbo lui avait d’ailleurs demandé expressément de s’attacher à reconstruire les infrastructures, un défi que le Président Alassane Ouattara a relevé avec brio. ( cf ma contribution au blog de Médiapart Juin 2013 « Le président Alassane Ouattara sert-il l’intérêt général en Côte d’Ivoire ? »). Les taux de croissance de notre pays sont parmi les plus élevés de la sous-région. Malgré la chute des prix du cacao, des efforts ont été fait pour la redistribution dans ce contexte de reconstruction des infrastructures. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui les gouvernants doivent, dans le contexte de la globalisation, marier  deux exigences contradictoires : rendre le pays compétitif sur le marché international, et répondre en même temps aux demandes sociales au niveau national. La gouvernance Ouattara a réussi ce test : marier les nécessités économiques de l’investissement à l’obligation politique de redistribution, en étant à l’écoute des mouvements de revendication sociale. Les efforts de redistribution doivent néanmoins être accentués pour une croissance inclusive. Je ne doute pas que la politique gouvernementale aille dans ce sens dans les trois années à venir. En dépit des efforts  d’investissement qui doivent être soutenus pour renforcer le tissu les infrastructures économiques de notre pays, la problématique sociale ne doit pas être sous-estimée. En s’appuyant sur  le taux de croissance, il est possible d’espérer une politique active de lutte contre la pauvreté, qui permettra de donner du contenu à l’inclusion sociale, objectif ultime de la politique économique du Président Alassane Ouattara.  La question d’un 3ème mandat relève du registre de la spéculation. Le Président Alassane Ouattara n’a fait aucune déclaration ni engagé la moindre action dans ce sens. Il a publiquement déclaré n’être pas venu pour s’éterniser au pouvoir. Cette histoire de 3ème mandat  a été, selon moi, inventée pour brouiller la visibilité de la gouvernance du pays, et pour justifier la précoce guerre de succession, indue et inappropriée qui menace la stabilité politique de la Côte d’Ivoire.

 

À la fin de son mandat en 2020, que pensez-vous que les Ivoiriens pourront retenir : un sentiment d’échec, ou l’espérance de l’émergence, du retour de la stabilité après la série d’instabilité que l’on a commencé dans le pays à vivre à partir de 1999?

À la fin de son mandat en 2020, les Ivoiriens pourront retenir que la gouvernance Ouattara a remis la Côte d’Ivoire sur les rails de la République, de la démocratie, de la croissance économique et d’une politique sociale d’intégration et d’inclusion. Le retour de la stabilité politique et l’émergence promise peuvent être raisonnablement attendus,  à condition de mutualiser nos efforts pour conserver notre pays dans les cadres de la République, d’améliorer par un engagement citoyen et par une critique constructive, les acquis économiques, sociaux et démocratiques remarquables de la Gouvernance Ouattara. Grâce à l’engagement démocratique et républicain résolu du Gouvernement RHDP, qui n’a pas cédé aux tentations répressives suites aux provocations, l’édifice de la démocratie républicaine ivoirienne a résisté aux assauts répétés des forces de l’ethno-nationalisme xénophobe, et du national-populisme. Le cap de la politique nationale d’inclusion et d’intégration a été maintenu envers et contre tout. Il importe de protéger et de raffermir ce projet républicain et démocratique, de l’améliorer selon les exigences du temps, et de le porter plus loin pour que se réalise progressivement  le rêve Ivoirien.

 

Réalisée par Alafé Wakili

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