Le texte du lecteur : À l’école de la violence

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Dernère publication

Lauréat du prix IBK de la nouvelle, 2ème prix du festival poétique chez les jeunes 2017,  Jean-Noël Kouamé est étudiant en communication à l’université UAO de Bouaké. Il nous partage son texte intitulé «  À l’école de la violence ».

Ça y est, il me faut aujourd’hui, parler à Liliane. Je suis fatigué de fuir son regard. Dix heures vient de tinter son carillon. C’est la récréation. Les élèves se dirigent vers le petit marché du lycée. D’autres rient, crient, se bousculent. J’y vais dans la même direction. Vociférations. Tantie, Tantie, je veux jus. Tantie je veux pain, avocat. Tantie, TANTIE. Une rosée de sueur tiède perle le visage ridé de la vendeuse. Elle s’abaisse. Eponge sa face.        Kovy ! Kovy ! Qui m’appelle ? Battè Kra, mon pote. Il court. Vient vers moi. Je suis content de le voir, toujours bien mis… A peine arrivé, qu’il me demande : as-tu parlé à Liliane ? NON. Tu déconnes, qu’attends-tu ? RIEN. J’ai décidé de lui parler aujourd’hui… Un coup de sifflet se répand dans l’air frais du soleil paresseux qui se traine à l’horizon. Des pieds frappent le sol nu. Courir. Courir sauvagement, plus vite que les battements du cœur, dans tous les sens… Dans les salles de classes, des jeunes habillés en guenilles y rentrent. Gourdins, machettes et canifs en main. Sifflent, sifflent. Bousculades. Le sang. Le sang peint les murs. Cris âcres. Sortez ! Sortez ! C’est la FEC. Sortez ! L’heure est grave. Des rixes. Dans le ciel, des projectiles s’envolent. Frappent les nuages, redescendent. Un élève est poignardé. Le sang coule. Panique dans toute la cour de l’école. Kovy, quittons ici ! Allons, allons-nous cacher derrière le bâtiment D. On ne peut pas sortir ; tous les portails sont fermés. Non, attendons un instant. Il me faut sauver Liliane ; elle doit être au milieu de la foule. NON, Kovy allons-nous-en. Tu reviendras après, si tu le désires…                                                                                          Marcher. Marcher dans les soupirs et les sanglots provenant des collines apeurées. Les pierres volent sur nos têtes. La trouille coule dans mes veines. Battè me regarde. Sort de sa poche un sachet blanc contenant des feuilles sèches parsemées de graines. Me le montre. Tu connais ? NON. Qu’est-ce que sait ? C’est ma ration. Il rit…C’est ce qui me donne la force. La force ? Oui la force. Veux-tu le tester ? Allez vas-y ! Teste le, Kovy. Tu verras, c’est du bon. Tous les vrais mecs du lycée en consomment. Est-ce la drogue ? La drogue ? NON, mon pote. La Marie-jeanne. Je regarde la Marie-jeanne. Je suis tenté. Je veux être fort. Très fort. Avoir la force d’un baobab ; Parler à Liliane, sans vergogne…

Fumée. Fumée qui monte les escaliers du ciel. Fumée. Fumée qui voyage sur les ailes du vent. Je toussaille. Toussaille. Ça va ? il me demande. Je le reluque ; une couleur rouge sang danse dans ses yeux. J’avance vers lui. Je frétille. Dandine. Mon pied télescope le pourtour du bâtiment. Je valdingue. Il se moque. M’aide à me relever. J’ai mal, Je claudique ; Je me sens faible ; Le sommeil chatouille mes yeux. Allons ! Retournons nous !…  tiens, met le reste dans ta poche…                                                                                                                                  La bagarre continue. Devant la salle des professeurs, une jeune fille tapie sur le sol vermeil, pleure sa mort. Son sang coule, enivre le sol glacé de tristesse…

Un discours. Cris. Cris torrentiels. Des ovations. Kofi Danger, le président de la FEC, sur une table : « Camarades, l’heure est grave ! C’est l’heure de la grève. Nos professeurs ont de la foutaise. Nous, jeunes de la Fédération des Elevés Conscients (FEC), nous sommes préoccupés par notre avenir. Camarades, vous n’êtes pas sans savoir que, depuis deux mois, nous faisons des interrogations et des devoirs, sans recevoir nos copies. Sans même savoir nos notes. Camarades, ce n’est pas normal. C’est pour ces raisons que je me tiens devant vous ce matin. Nous ne pouvons plus accepter que des gens qui ont déjà réussi leur vie, mettent du sable dans notre Attiéké. Ils sont payés pour corriger nos copies ; payés pour nous transmettre le savoir. Alors camarades, je ne vais pas être long ce matin. Nous allons tous nous diriger vers la ‘salle des profs’ et leur dire que nous réclamons nos copies. »                                                   Tempête extraordinaire d’applaudissements, des cris de joie balafrent le ciel. Pieds qui tordent les cous des gazons, des fleurs…Des projectiles volent dans le ciel vert-de-grisé sans soleil, piqué de nuages malades. On veut nos copies ! Tonnerre de Dieu ! On veut nos copies !…        Je me retire du groupe. Je vais à la recherche de Liliane, elle me manque. Je désire lui parler ; lui dire tout ce que je ressens. Je n’ai plus honte… Marcher. Marcher. Tourner à gauche à gauche, puis à droite, toujours à la recherche de Liliane…

Des flics. DES  FLICS. Gambader. Gambader dans tous les sens. Suivre les autres. Non. Je  n’ai pas peur. Liliane. LILIANE. Je crie. Le timbre de ma voix réveille mes intestins endormis. Un canif abandonné trône au bas d’un mur. Je l’empoigne. Au pas de course, un flic répugnant vient vers moi. Me saisit par le col. Mes pieds flottent dans l’air.  Mon canif embrasse sa tempe gauche. Un crie s’échappe de sa belle gueule d’excrément. Il me relâche. Je me mets en position de combat… Non. Non. Lâchez-moi ! Fils de putes! C’est de la Marie-jeanne. Lâchez-moi ! Je cherche Liliane. Ô LILIANE !… Comme un animal blessé, Je m’écrase dans le cargo, une rafale de sanglots passionnés s’invite dans mes yeux… Ô LILIANE !

 

Jean Noël Kouamé

Bouaké le 04 juin 2015,

 à 00h 47min.

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