LA CHRONIQUE DU LUNDI L’AFRIQUE : LE TEMPS DE L’EMERGENCE ?

1068

Dernère publication

Avec l’Afrique d’aujourd’hui, nous ne sommes plus dans l’ordre de la prédiction, mais dans le champ du possible : les prévisions concernant l’Afrique s’appuient désormais sur des réalités observables, mesurables, quantifiables qui permettent d’envisager le futur du continent, même si ce futur n’est pas encore écrit tant les foyers de tension habituels restent présents. L’Afrique, à cause de la faiblesse de son poids économique et politique sur la scène internationale, est longtemps restée marginalisée.

Les faiblesses de l’Afrique

La trappe de l’économie de la rente pétrolière, minière ou forestière, avec des logiques prédatrices qui accompagnent ce type d’économie, a longtemps retardé le développement de l’Afrique. Les Etats rentiers, aujourd’hui faillis, sont dans l’incapacité de diversifier leur économie. Aujourd’hui, les produits bruts, agricoles et miniers, représentent encore 70% du total des exportations africaines. La diversification des économies est trop lente, voire inexistante. Le continent réalise hors d’Afrique 70 % de ses achats de produits manufacturés. La crise économique est aggravée par la forte instabilité politique : selon les chiffres de la Commission de l’Union africaine, l’Afrique a connu, entre 1956 et 2001, 186 coups d’État, dont la moitié dans les années 80 et 90. La crise du politique accentue les effets de la mal-gouvernance et favorise les pratiques corruptrices Autre raison de la marginalisation de l’Afrique : la faiblesse des ressources humaines. Aujourd’hui encore, dans la haute administration, dans les cabinets ministériels, les compétences nécessaires sont parfois  insuffisantes, lorsqu’il s’agit de négocier avec les juristes des grandes compagnies ou des Etats partenaires. Au moment de l’entrée dans le XXIè siècle, le contexte n’est plus le même : à la marginalisation des époques postcoloniales, semble succéder le temps de l’émergence.

Le temps de l’émergence

Les instances internationales et les bailleurs de fonds ont obligé les Etats africains, dans les années 1980-1990, à réduire l’endettement public, afin d’équilibrer les budgets, favorisant ainsi l’investissement public productif. Les anciennes grandes sociétés d’Etat, en situation de monopoles, étant devenues obsolètes, la libéralisation de l’économie s’est imposée avec, comme corrélé, le développement du secteur privé. Parce qu’elle connaît, tout au long de ces 20 dernières années, une croissance forte et régulière, l’Afrique a pu bénéficier de financements supplémentaires et jouer sur l’endettement public. Les émissions de dettes souveraines des pays sub-sahariens s’élèvent, cette année, à 6 milliards de dollars Le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal ont pu lever entre 500 millions et 1,5 milliard de dollars d’euro-obligations, performance qui traduit la bonne santé de l’économie de ces pays. Les investissements étrangers ont, depuis 2014, battu des records et sont devenus, avec 80 milliards de dollars, la première source d’apports financiers extérieurs.  La vitalité de la croissance africaine attire les investissements directs  étrangers (IDE) et les investissements de portefeuille tournés vers la rentabilité du capital. Deux raisons expliquent cette hausse record des IDE : l’abondance des matières premières en Afrique et l’émergence d’une classe moyenne de près de 400 millions de consommateurs et l’Afrique se contente d’exporter des matières premières brutes, ce qui conduit à faire de l’Afrique une espèce de libre-service des matières premières et des terres, où de nouveaux prédateurs viennent se servir sans participer au développement du pays et sans contribuer à la création d’emplois et à l’élévation des niveaux de vie des populations.

Le long chemin vers

l’émergence

Les pays africains sont au début d’une trajectoire qui doit leur permettre de se constituer en Etats-nations capables d’aller vers l’émergence. Selon le chercheur Philippe Hugon,, « le futur de l’Etat conditionne le futur de l’économie ». Un pays ne peut se réinventer qu’à travers l’Etat.   Là où l’Etat est faible, comme au Mali, en Centrafrique, au Sud-Soudan, au Nigéria, les menaces demeurent. Des pays comme l’Angola, l’Ethiopie, le Mozambique, le Rwanda, la Sierra Leone ont choisi de se reconstruire en consolidant l’Etat et en favorisant la croissance. Le Botswana connaît un redressement spectaculaire qui concilie l’expression des libertés démocratiques, la gestion rigoureuse de la rente diamantaire et un partage vertueux des richesses. De nombreux pays africains ont lancé des programmes ambitieux pour atteindre les objectifs de l’émergence, le Gabon avec le PSGE 2030 (Plan Stratégique Gabon Emergent 2030) ; le Sénégal avec le PSE (Plan Sénégal Emergent) ; la Côte d’Ivoire s’est fixée l’objectif de rejoindre les rangs des pays émergents à l’horizon 2020 ; la République du Congo à l’horizon 2025, etc. Certes, la Côte d’Ivoire est redevenue le fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest, mais, elle compte, selon la BAD (Banque Africaine de Développement, un taux de chômage de 70 à 90 % si l’on inclut les emplois précaires et l’économie informelle. Après la croissance liée à la rente des matières premières, l’Afrique ne doit pas tomber dans le piège de la croissance liée à  la construction des infrastructures (ponts, routes), ce n’est une croissance des emplois.

Créer de l’emploi à travers un réseau dense de PME

Les matières premières participent, de façon prépondérante, au grand réveil de l’Afrique et à son développement économique, en particulier dans les 7 pays qui ont connu, en 2014 et 2015, un taux de croissance supérieur à 7 % : Libéria, 7 %; Mozambique, 7,2 %; Zambie, 7,4 %, Ghana et RDC, 8,9 %; Côte d’Ivoire, 9 %; Sierra Leone 9,5 %. Ces chiffres sont donnés par les Nations Unies dans « Situation et perspective de l’économie mondiale ». Or, si l’Asie a su créer une véritable industrie locale de transformation des matières premières, l’Afrique est, dans ce domaine, très en retard. Il est donc urgent que se développe sur le continent noir une industrie locale de transformation. Cela passe par une industrialisation massive de l’Afrique, afin de transformer localement les matières premières dont elle dispose et créer des emplois. L’Institut Choiseul, avec son Choiseul 100 Africa, un classement qui fait autorité, met en lumière les nouvelles générations d’entrepreneurs qui sont en train de changer l’image de l’Afrique aux yeux du monde et des Africains eux-mêmes. C’est à travers cette nouvelle génération d’entrepreneurs que l’économie africaine peut se diversifier et se moderniser. Les Africains eux-mêmes portent un regard différent sur leur continent. Ils savent que l’Afrique, désormais connectée à la planète entière, est en passe de devenir l’un des moteurs de la croissance mondiale, car elle dispose de quatre leviers du développement : volonté politique, richesses naturelles, financement et capital humain.

La nouvelle étape que doit franchir l’Afrique est celle de son industrialisation. Elle aurait tort cependant de renoncer à devenir une puissance agricole à la fois pour préserver sa sécurité et sa souveraineté alimentaires, mais aussi pour faire du secteur agro-alimentaire une filière d’exportation.

Christian Gambotti

Directeur général du think tank

Afrique et Partage

Directeur général de l’Institut Choiseul

Directeur de la Collection

L’Afrique en marche

Commentaire

PARTAGER