2 ex-ministres racontent comment ils ont vécu la période de remaniement (Côte d’Ivoire – Houphouët – Gbagbo – Bédié – Ouattara)

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Le gouvernement ivoirien dirigé par le premier ministre Amadou Gon Coulibaly a été dissous le mercredi 4 juillet 2018. Comment les ex-ministres vivent un remaniement. L’IA a donné la parole à deux anciens ministres.
Amoakon Edjampan (ministre du Commerce sous Houphouët) : « Le président Houphouët faisait des consultations »

« Ce que je peux dire, c’est que ce n’était pas dans les mêmes conditions que maintenant. Moi, je n’étais pas directement concerné jusqu’à ce que j’arrive au Gouvernement. J’étais en poste à l’extérieur. Mais, quand quelqu’un devait être nommé, le Président Houphouët lui-même le lui faisait savoir. Il lui disait clairement qu’il a besoin de lui pour un tel ou un tel autre poste ministériel. Deux ou trois jours avant, il faisait ses consultations.

À cette époque, il n’y avait pas autant de partis politiques, que maintenant . Le Président menait ses consultations avec son équipe, puisqu’il n’y avait pas de Premier Ministre à cette époque. Ce sont ses compagnons proches, Ministres d’État et autres, avec toute l’alchimie, qui l’assistaient. Il ne ratait aucune occasion d’ouvrir son Gouvernement aux cadres des régions qui n’avaient pas été associées. 48h avant la proclamation du Gouvernement, le Président Houphouët-Boigny appelait les uns et les autres, y compris les ministres sortants.

Personnellement, quand je devais quitter le Gouvernement, il m’a appelé pour me dire qu’il avait besoin de m’envoyer en mission en Chine, afin d’y ouvrir l’Ambassade de Côte d’Ivoire. J’ai été informé directement comme ça. Voilà comment je suis parti du Gouvernement.

Le Président Houphouët maîtrisait les consultations de bout en bout. Il a toujours agit ainsi jusqu’à la nomination du Président Ouattara en qualité de Premier ministre en 1990. Il y’a eu quelque scène qui frisaient le cocasse. Un jour, il a demandé à faire venir un monsieur qui était censé être le fils de l’un de ses compagnons. Et quand le monsieur est arrivé, il lui a dit qu’il le nommait pour aider sa région. Et lorsque le Gouvernement a été présenté, tous les autres ministres ont découvert que ce monsieur n’était pas originaire de la région en question.

À l’époque, le Président prenait un certain nombre de décisions, et il annonçait le remaniement au conseil national ou à l’occasion de certaines rencontres. Il avait sa méthodologie à lui, mais ce n’était pas toujours facile. Chaque pays avait son mode de fonctionnement. Chaque Président de la République avait ses rapports particuliers avec son peuple. C’était l’époque du parti unique. Mais avec l’arrivée du multipartisme, il y’ a eu certains pays où les Présidents décidaient toujours seuls et d’autres, où le Président faisait des consultations. Mais on ne peut pas faire la politique à ce niveau-là sans faire les consultations ».

Niamien Yao (ex-ministre des PME et de l’Artisanat sous Gbagbo) : « Dès qu’on annonce le remaniement, le ministre n’a plus la plénitude de son autorité »

«Il y a deux types d’ambiances qui prévalent dans les cabinets ministériels, après une telle dissolution. Il y’a ceux qui craignent votre départ, et ceux qui se réjouissent de votre éventuel départ. Il y’a deux types de collaborateurs. Ceux qui craignent votre départ, ce sont ceux qui comptent sur vous. Ceux avec lesquels vous êtes arrivés qui risquent de se retrouver à la rue. C’est sans oublier les collaborateurs que le ministre a trouvés en place, et qui ont eu de la promotion grâce à lui. Et ceux qui prient pour le départ du ministre, ce sont ceux qui croient que l’arrivée d’un nouveau ministre pourrait leur ouvrir les portes d’une promotion. Du coup, ce sont deux types de prières qui montent vers Dieu de la part des collaborateurs du ministre sortant, au moment où celui-ci attend de savoir s’il sera maintenu à pas. C’est une période difficile pour le concerné.

Pour un bon ministre, c’est gênant de savoir qu’il a engagé des chantiers qu’il ne pourra pas achever. C’est le sentiment qu’on a. Parce qu’à un moment donné, le ministre a l’impression que les grands chantiers qu’il a ouverts sont un peu des chantiers personnels. Tu te rends compte que beaucoup de choses vont te manquer. Tu as aussi l’impression d’avoir embarqué des gens dans une aventure, et dont la carrière risque d’être gâchée avec ton départ. On redoute aussi le regard de la société. À quoi va ressembler la vie d’un ancien ministre ? Va-t-il être rejeté ou accepté par la société ? Voilà autant de questions que le ministre se pose.

Le dernier regard qu’on a, porté sur sa famille, ses enfants, ses proches qui ont pris une certaine habitude. Le ministre se demande ce que tout ce monde va devenir. C’est une période de véritable tournant que le ministre sortant vit, dans l’attente d’un nouveau gouvernement.

Dès qu’on annonce le remaniement, le ministre n’a plus la plénitude de son autorité. Même quand vous allez au bureau, le regard des collaborateurs n’est plus le même qu’avant le vent de remaniement. On a l’impression que vous être en train de forcer. Or, vous ne pouvez pas rester à la maison. Ça serait une fuite des responsabilités. Au bureau, vous ne savez pas si vous devez encore signer un papier. Et même quand vous le faites, celui qui le reçoit est dubitatif. Et quand tu n’es pas reconduit, la question que tu te poses est “mais qu’est-ce que j’ai fait au Président ?“.

C’est une période très difficile que nous, aujourd’hui anciens ministres, avions vécue. Personne ne peut dire qu’il est heureux de quitter un gouvernement, même après 20 ans de service ».

Jean Hubert Koffo

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