Dernère publication
Il en est de la paix comme de la démocratie : ce sont des constructions de tous les jours, que des femmes et des hommes de convictions s’appliquent à réaliser, patiemment, pas à pas, avec, comme obstacles, l’impatience des uns et des autres , le retour des vieux affrontements, l’effervescence liée aux périodes électorales, les irréductibles et les « va-t’en guerre » à l’intérieur même du camp de ces femmes et des hommes de paix.
J’aime à rappeler ce que disait Mandela : « Après avoir gravi une haute colline, on se rend seulement compte qu’il y a encore beaucoup de collines à gravir ». Construire la paix, c’est gravir, les unes après les autres, ces collines qui se présentent devant nous. J’aime aussi à rappeler aussi ce que disait Houphouët-Boigny, le Père de la nation ivoirienne et homme de paix, s’il en fut un : « « Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable on ne doit pas hésiter un seul instant, à recourir, avec obstination au dialogue. » La vraie paix, c’’est ce dialogue ininterrompu entre les hommes, établir sans cesse des ponts, des points de convergence au-delà des égoïsmes et de l’orgueil de chacun qui font oublier l’intérêt général.
Construire la paix, c’est en effet faire des ponts entre les hommes ! Après les grandes infrastructures, celles des routes et des ponts, il restait à gagner la paix, à consolider l’unité nationale et réconcilier les Ivoiriens entre eux. C’est en réalisant la paix dans la la société, dans la nation, aux frontières, dans le cœur des hommes que l’on entre dans la postérité. Laurent Gbagbo avait été l’homme par qui la guerre était venue, mais il avait aussi tenté d’être l’artisan de la paix, l’homme du dialogue direct. Il y croyait fort et haut, malgré les réserves de Koulibaly, Simone et Affi jusqu’à ce deuxième tour. Qui ne souvient des débats de l’époque ! Manifestement, au-delà de tout, contre les jusqu’au-boutistes du RDR, Alassane Ouattara semble vouloir tirer les leçons du passé. Il a vu par exemple la chute de Compaoré. Il a tellement dénoncé lui-même Laurent Gbagbo, qu’il ne pouvait pas vraiment gâter son nom et rater sa sortie.
Depuis 2011, il avait fait, à juste titre, le choix d’avancer dans la construction des infrastructures, car on ne peut avoir de paix durable sans une économie forte. Avait-il oublié de toucher les cœurs ? Peut-être. Mais, il avait fait le choix de l’économie à marche forcée. Il avait fait le choix de la justice internationale avec la CPI. Il s’était dit que s’il n’écoutait, dès le départ, que le cœur et l’émotion, le pays ne s’en sortirait pas ! On peut déplorer que la justice n’ait pas été au même rythme pour tous les camps, mais au fond, il faudra bien un jour ouvrir le débat sur l’impunité, sur nos choix de société . Entre une punition pour tous ou une impunité pour tous, quelle solution choisir ? L’amnistie est une manière de dire : faisons le choix de la réconciliation en oubliant les violences des uns et des autres !
J’ai souvent donné cette explication de la crise en 2010 : si le camp Gbagbo est allé si loin, c’est parce qu’il trouvait injuste et inacceptable de donner le pouvoir (qu’ils aient ou non gagné n’était pas important pour ce temps ) à des gens qui ont tué des Ivoiriens pour tenter de prendre le pouvoir, et qui n’ont jamais été sanctionnés; des gens qui, profitant de l’amnistie d’alors et de la politique du Président Gbagbo, voulaient -maintenant et désormais – prendre le pouvoir par les urnes et la fraude ( avérée ou non ), après avoir échoué à le prendre par les armes et la rébellion .
N’oublions pas cette dimension psychologique de la crise née du sentiment d’injustice. Nous comprendrons mieux ainsi combien nous devons être vigilants lors des tensions électorales. Le Discours à la Nation du Président Alassane Ouattara invite à cela , et introduit deux idées : 1) le moment est arrivé de laisser la place aux nouvelles générations à qui, il faut faire confiance – 2) Pour 2020, chacun est légitime à être candidat, du PDCI au RDR, du FPI à l’UDPDCI, ou tout autre candidat. Ce message peut-il être entendu ? Peut-il être compris ? Moi je retiens qu’il n’était pas possible d’encourager l’impunité, après la crise en 2011. Ne rien faire aurait été la pire des choses. Ne pas sanctionner, laisser tout le monde tranquille dès le lendemain, comme si rien ne s’était passé ? Cela n’était pas possible, ni même souhaitable, surtout que jusqu’à ce jour, il n’y a aucun sentiment partagé de contrition, ni aucun mea-culpa. Désormais la politique se fera de façon plus saine.
Charles Kouassi