Dernère publication
Mme Anicette Djédjé Bagnon a créé, il y a environ 4 ans, en France, l’ONG Cœur de mères. Cette organisation non gouvernementale a décidé d’assister les jeunes filles-mères et mène des activités de sensibilisation sur ce phénomène. Dans cet entretien, Mme Djédjé Bagnon, fille du président du conseil régional du Gôh Joachim Djédjé Bagnon , dévoile les projets de son ONG à long terme.
Comment l’idée vous est venue de créer l’ONG Cœur de mères et depuis quand existe-t-elle ?
L’ONG existe depuis bientôt quatre (4) ans. Nous avons mené beaucoup d’activités depuis lors. Nous avons reçu la visite d’étudiantes françaises, il y a deux ans et elles ont fait des dons à la maternité du quartier Dioulabougou de Gagnoa. Nous avons aussi fait des dons de kits scolaires dans le village de Gnizabré (Gagnoa). Nous organisons aussi des conférences de sensibilisation dans des établissements scolaires sur les grossesses en milieu scolaire, nous entretenons également les éducatrices préscolaires, parce que la base de l’école commence par là et nous luttons également contre les échecs en milieu scolaire. Nous intervenons dans l’éducation, la prévention et le soutien, parce que nous nous disons que chaque enfant a une chance. Nous avons choisi le nom Cœur de mères, parce que le cœur d’une mère pardonne tout. Si un enfant de 15 ans a pris une grossesse, ce n’est pas la fin de sa vie. Elle peut réussir. J’ai moi-même été une jeune mère, j’ai quatre enfants et deux petits-enfants. Je comprends la souffrance que ces jeunes mères vivent, puisqu’elles ne vont plus à l’école, alors qu’elles sont très intelligentes. Elles ont simplement commis une erreur et l’idée de Cœur de mères, c’est de rassembler ces filles, leur donner de l’espoir, parce que rien n’est encore perdu. Elles peuvent ressurgir pour devenir les cadres de demain. Si ces filles ne sont pas encadrées, que deviendront leurs enfants demain ? C’est la raison pour laquelle le nombre des enfants de la rue, des enfants en conflit avec la loi augmente en Côte d’Ivoire. Il faut combattre le phénomène des enfants en conflit avec la loi depuis la base, en encadrant leurs mères.
Vos actions se limitent-elles seulement dans la sphère géographique de Gagnoa, la ville dont vous êtes originaire?
Évidemment que non, sinon les gens diront que c’est parce que je viens de Gagnoa que je mène des actions à Gagnoa, alors que les jeunes filles mères se trouvent partout en Côte d’Ivoire. Notre objectif est de sillonner toutes les régions de la Côte d’Ivoire, parce qu’il est vraiment important d’encadrer les jeunes filles qui sont mères à l’âge de 13, 14 ou 15 ans. Je suis éducatrice spécialisée de formation, je pense qu’il faut donner une chance à ces enfants, il faut les écouter sinon ils courent droit vers l’échec. Moi, je suis contre l’échec d’un enfant. Des femmes accouchent à 6 mois ou 7 mois, d’autres à 9 mois. Des enfants viennent au monde par la voie normale, d’autres par césarienne. Ils ont les mêmes aptitudes, la même intelligence, mais c’est l’environnement qui transforme un enfant et moi, je suis très protectrice de l’enfant, parce qu’il a des droits.
Comment encadrez-vous justement ces enfants et leurs mères ?
Quand une mère se lève le matin et qu’elle sait qu’elle a un centre où elle peut aller se former, quand elle sait que son enfant a de quoi manger, cette mère éduque elle-même son enfant. C’est systématique. Une maman qui vend des beignets est plus sévère qu’une autre maman qui travaille dans un bureau. Ma mère n’est pas intellectuelle, mais elle me réveillait à 4 heures du matin pour que je révise mes leçons. Si on donne une chance à ces filles d’aller à l’école, je pense que beaucoup de choses vont changer. Elles sont vraiment laissées pour compte, parce qu’elles se disent, elles-mêmes, que tout est perdu. L’ONG Cœur de mères dit non. Un enfant est un don de Dieu, mais nous n’encourageons pas les grossesses en milieu scolaire.
C’est aussi un phénomène qui existe et qui prend de l’ampleur…
C’est justement la raison pour laquelle nous organisons des conférences dans les établissements scolaires, pour éviter cela. Nous expliquons aux jeunes filles comment faire pour ne pas tomber enceinte pendant qu’elles sont encore à l’école. Il n’y a pas de sujets tabous chez nous. Quand une mère est ouverte à son enfant, il y a beaucoup de chances que l’enfant ne fasse pas de bêtises. Je suis une mère, je dis toujours à mes filles de m’informer si elles sont prêtes. Des pilules existent, c’est gratuit, il y a des préservatifs. La grossesse, je pense que c’est le moindre mal, parce que ça dure 9 mois. Mais, la maladie telle que le SIDA, c’est pour toute la vie. Si tu mets au monde un enfant malade et que tu le hais, que va-t-il devenir ? Mon combat, c’est la réinsertion de ces jeunes filles, le respect des droits de leurs enfants. Mon combat, c’est d’amener les uns et les autres à apprendre à écouter les enfants. En Afrique, on n’écoute pas les enfants. Si le père est médecin, l’enfant doit être forcement médecin. Ecoutons les enfants pour éviter les mauvaises orientations.
Où se trouve le siège de votre ONG ?
Notre ONG est légalisée en France, mais notre espace d’actions c’est la Côte d’Ivoire. En France, nous réunissons tous les dons, avec l’aide de mes enfants et je les achemine en Côte d’Ivoire pour les populations ivoiriennes. Notre objectif, à long terme, c’est d’ouvrir un foyer mère et enfant, où les mamans pourront apprendre un métier. Il y aura une crèche pour les enfants, afin que leurs mères puissent apprendre un métier.
Comment se fait la collaboration entre les autorités ivoiriennes et Cœur de mères ?
Les autorités ivoiriennes sont réceptives, mais il y en a qui n’ont pas encore compris l’ampleur du phénomène. Quand j’en ai parlé en France, il y a tout de suite eu une réaction, parce que là-bas, les gens se disent que c’est un moyen de lutter contre l’immigration clandestine. Quand une jeune fille-mère ne fait rien, elle cherche à aller par tous les moyens en Europe avec son enfant. Mais cela peut tourner au drame et nous voyons tous ce qui se passe sur la mer Méditerranée. Mais, si elles ont un métier, pourquoi risqueraient-elles leur vie et celle de leurs enfants ? Pourquoi se prostitueraient-elles pour s’occuper de leurs enfants ? J’ai rencontré l’une des responsables de l’ONG Children of Africa de la première Dame de Côte d’Ivoire et mon idée de création d’un foyer a bien été accueillie. Je me suis dit que ma voix sera portée auprès de Mme Dominique Ouattara, pour que notre projet devienne une réalité. Le premier foyer que nous allons ouvrir sera un site pilote, mais après, nous allons ouvrir ces mêmes foyers dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire, pour donner une dernière chance à toutes ces jeunes filles-mères. Elles ont droit à une dernière chance. Avoir un enfant très tôt, ça fait mal aux parents, c’est vrai. J’ai eu très mal quand ma première fille a eu un enfant. Mais, il faut les encadrer pour qu’elles aient confiance en elles, qu’elles travaillent pour s’occuper de leurs enfants.
Avez-vous approché les élus de votre région, notamment la mairie et le conseil régional, présidé par votre père, Joachim Djédjé Bagnon ?
Je n’ai pas encore eu de contact avec le nouveau maire. Mais, nous travaillions avec l’ancien maire. Lorsque le groupe d’étudiantes françaises appelé « Les vadrouilleuses de la charité » est venu à Gagnoa, l’ancien maire nous a offert toute la logistique dont nous avions besoin. Je voudrais encore lui dire merci pour toute l’aide qu’il a apportée à l’ONG Cœur de mères. Concernant le conseil régional, je ne veux pas me mettre dans une posture, de sorte qu’on dise c’est la fille du président du conseil régional, donc elle a droit à tout. Néanmoins, nous informons le conseil régional de chacune de nos cérémonies, parce que c’est l’administration. Mais, nous n’avons pas reçu de financement de la part du conseil régional pour nos activités. Jusque-là, nous travaillons sur nos propres fonds, nous recevons des dons et j’ai parlé de Children of Africa qui nous a offert 100 kits scolaires à la rentrée. C’est encore cette ONG, que je ne remercierai jamais assez, qui nous a donné des vivres que nous avons distribués à nos jeunes mamans.
La Côte d’Ivoire est touchée par la pandémie du coronavirus, mais certains de nos compatriotes n’y croient pas encore. Qu’en pensez-vous ?
Le coronavirus est une réalité et je n’en dors pratiquement pas, parce que je me demande si les jeunes filles-mères sont touchées par l’élan de solidarité qui se manifeste en Côte d’Ivoire, à travers des dons de vivres et de non vivres. Je voudrais profiter de cette occasion pour dire merci à la première Dame, Mme Dominique Ouattara qui, à travers Children of Africa, nous a fait des dons que nous avons distribué dans les quartiers. Je me suis plus basée sur les jeunes mamans. Il y en a parmi elles qui n’avaient même pas de riz pour la bouillie de leurs enfants. Avant c’était difficile pour ces jeunes filles-mères, avec la pandémie du coronavirus, c’est devenu encore plus difficile. J’ai adressé des courriers à des autorités ivoiriennes pour leur demander de l’aide, afin que nous puissions assister et soutenir ces jeunes filles, parce que généralement quand des dons sont faits, ce sont les mamans plus âgées qui sont présentes. On ne voit pas les jeunes filles-mères qui ont entre 15 et 26 ans. Ces filles n’ont plus confiance en elles, elles n’assistent même pas aux réunions de jeunes… Nous avons déjà recensé plus de 500 filles-mères, mais combien parmi elles le font ? Notre rôle c’est de dire à ces jeunes filles qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ont encore une chance de s’en sortir.
L’année 2020 est aussi une année électorale et vous êtes un acteur de la société civile ivoirienne. Quel regard portez-vous sur l’élection présidentielle d’octobre 2020 ?
En tant que membre de la société civile, nous sommes pour la paix. Notre souhait le plus ardent, c’est que ces élections se déroulent dans la paix. Nous ne voulons plus vivre ce que nous avons vécu en 2010. Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup de sang a coulé. On n’en veut plus et nous prions pour que nous ayons des élections apaisées en 2020, de sorte que celui qui a gagné soit reconnu comme tel pour qu’on avance. Si quelqu’un a gagné aujourd’hui, ce n’est pas grave, demain tu peux gagner. Il ne faut pas qu’on reprenne les erreurs du passé. La Côte d’Ivoire a trop avancé pour qu’elle recule encore. Sans infrastructures, il n’y a pas de développement. Quand on a la paix, on mange.
D’aucuns disent que cette élection doit être reportée, compte tenu du contexte actuel lié à la COVID- 19. Partagez-vous cet avis ?
Tout le monde entier est accroché à ce maudit virus. On ne sait pas ce qu’il nous réserve. Regardons l’évolution des choses. Tu ne peux pas sauter ton parent malade pour aller aux élections, surtout que nombreuses mesures ont été arrêtées pour stopper la propagation de cette maladie. S’il n’y a pas d’attroupements, s’il n’y a pas de salutations, comment on va faire la campagne ? Concentrons-nous d’abord sur ce maudit virus pour l’éradiquer et après on parlera des élections.
Quel est votre message pour terminer cet entretien?
Je ne saurais terminer cet entretien sans dire merci à un grand homme, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Voilà plus de 50 ans que mon père est entré en politique. Mais, c’est le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly qui a reconnu toutes les souffrances endurées par mon père, devant des milliers de personnes rassemblées au stade Biaka Boda de Gagnoa. C’est lui qui a fait honneur à mon père et tout le stade s’est levé pour acclamer mon père. Ça m’a touchée, j’ai coulé des larmes, je n’ai pas eu de mots pour dire merci au Premier ministre. Je dis un grand merci à Amadou Gon Coulibaly, au nom de toute la famille. Je souhaiterais avoir l’occasion pour lui dire merci de vive voix. Je suis née en politique, mais jamais tout le travail abattu par mon père n’a été reconnu. Jamais !
Même pas le PDCI-RDA, le parti de M. Djédjé Bagnon?
Jamais ! Le PDCI ne l’a jamais fait. La première personne qui a reconnu tout ce que mon père a fait pour la région du Gôh, pour les habitants de la région du Gôh, sans distinction d’ethnies, de religion…, c’est le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly et je lui serai reconnaissante toute ma vie. Généralement, on rend hommage à titre posthume, mais Amadou Gon Coulibaly l’a fait du vivant de mon père, dans un stade emblématique bondé. Qui dit Amadou Gon Coulibaly dit Alassane Ouattara. Je dis un grand merci au Président Alassane Ouattara pour avoir reconnu le travail abattu par M. Djédjé Bagnon durant 50 ans pour la cohésion à Gagnoa et dans la région du Gôh.
Réalisé par Olivier Dion