Dernère publication
La désaffection de la poésie par le grand public ivoirien semble consommée. Etre Poète de nos jours est presque sûr de voir ses œuvres pourrir dans les sépulcres des librairies. L’avènement du slam redonne de la chair aux ossements desséchés de la poésie et elle reprend progressivement vie mais à un rythme de pas de tortue. Pourtant, la poésie est la mère de tous genres littéraires et c’est par la poésie que la littérature africaine d’expression francophone est née avec les chantres de la négritude. Notre chronique littéraire de ce jour nous permettra de découvrir un jeune Poète qu’il faut encourager et promouvoir car même les savants ont été un jour des novices. Son nom à l’état civil est Kouakou Hermann et Ati Migada est son nom de plume. Il a 15 ans et est l’un des plus jeunes écrivains ivoirien. Il a été révélé lors du « festival ivoirien de la création poétique chez les jeunes » dont le promoteur est Arsène Kouakou. Il est élève en classe de seconde C. C’est Mafri Bamba (une amie architecte que je sollicite souvent pour l’illustration des couvertures de certains écrivains) qui un jour, m’a offert le livre du jeune Poète Migada. Après lecture, j’ai éprouvé la fierté pour ce jeune homme et je suis sûr que tous ceux qui l’ont lu on éprouvé ce sentiment. C’est rassurant pour les parents et professeurs quant à l’avenir de ce talent précoce et l’on peut être sûr qu’il a acquis de bonnes bases et un bon départ.
Le livre du jeune Poète est illustré par un stéthoscope. C’est un instrument acoustique servant principalement dans le domaine médical pour l’auscultation ; c’est-à-dire l’écoute des sons internes du corps. Pour faire une analogie avec le livre de ce jeune auteur, le titre de son œuvre exprime ses réflexions sur la vie, l’existence : une démarche philosophique du questionnement parce que conscient de sa Raison ; Une sorte de Cogito ergo sum. Cela me rappelle « le crépuscule des idoles » de Nietzche qui voulait par le stéthoscope de la Raison ausculter les « vérités ».
La structure du livre du jeune Poète s’établit en deux parties : « Les laideurs de la société » d’une part et « les beautés de la société » d’autre part. Par cette nomenclature le jeune Poète exprime la conception manichéenne de la vie. Cela me rappelle le livre « les naufragés de l’intelligence » de feu Jean Marie Adiaffi qui a matérialisé ce manichéisme par des jumeaux appelés « Nd’a tê » et « Nda kpa » qui signifient mauvais et bon jumeaux : la coexistence du bien et du mal.
La première partie de son livre « les laideurs de la société » présente 10 textes et c’est le lyrisme qui transporte les émotions de l’auteur. Comme les lamentations du Roi David dans la Bible, le jeune Poète Migada pleure tout ce qui empoisonne la beauté de la vie. Il conjure la mort, il craint sa finitude, il exprime ses angoisses, ses peurs, les maux de la société, et tout ce qui empoisonne les bonnes relations interpersonnelles, l’originalité de la culture qui se fane et se profane, la pauvreté qui défigure la société et le bonheur des citoyens du monde, son cybercriminel sans foi ni loi qui se réjoui à escroquer … Tous ces maux blessent la sensibilité du jeune Poète qui n’aime que le bien, le beau et le bonheur autour de lui. Tous les Poètes avant lui ont aussi souffert des hideurs de ce monde et continuent d’en souffrir. Ce qui déculpe la souffrance des Poètes est le plus souvent leur impuissance face au déterminisme, à la mort, à la tragédie, aux volontés suprêmes des dieux, à la méchanceté incurable des hommes, à la déshumanisation de la société… Son texte intitulé « Désarroi » à la page 16 me rappelle la dernière prière de Jésus à Gethsémani avant sa crucifixion. Le jeune Poète Migada dit ceci :
Oh mon Dieu
Est-ce déjà l’heure ?
Pourquoi j’entends
Kouh ricaner
Diantre
Je n’arrive pas à le croire
J’ai pourtant fait tous els sacrifices
J’ai pourtant été en forêt pour te supplier
Je sens la douce odeur putride de kouh
Je suis désespéré
Je suis aveuglé par les larmes
Même le sommeil me fait peur
Car je redoute mon départ
Je ne sais comment te montrer mon malheur
Je n’ai que pour épaules consolatrices mes lourds pleurs
La deuxième partie de son œuvre est intitulée « Les beautés de la société » et le jeune Poète chante la force de l’espoir, la beauté de la vie, les vertus, les valeurs, l’amour de sa mère qui est la racine de son évolution… Le Poète veut s’approprier le don créateur des dieux pour recréer un monde où il ne règne que le beau, où les habitants ne sont que bons et ne cultivent que la bonté et la beauté. Le jeune Poète semble exprimer sa sublimation des problèmes de famille. Il consacre 3 textes dithyrambiques sur 20 à sa mère, un texte très affectif à sa sœur et un autre qui semble être très amer à son père intitulé « lettre à mon père ». Dans le texte à son père, il rappelle les devoirs d’un bon père pour ses enfants.
Il nous arrive souvent d’être en dédicace dans les librairies et lorsque des parents passent devant nos stands avec leurs enfants et que nous les invitons à découvrir nos œuvres, nous sommes choqués lorsqu’ils nous répondent avec satisfaction « Mes enfants n’aiment pas lire ! C’est pourquoi je n’achète pas de livres ». En lisant le jeune Poète Migada , on réalise le bénéfice de son initiation à a poésie sur le plan intellectuel, spirituel et psychologique. La poésie lui a permis d’enrichir son vocabulaire, développer sa créativité, son expression écrite et orale, à cultiver et défendre des valeurs qu’il exprime dans son livre, à sublimer ses souffrances et échecs, à se tourner vers une activité saine et productive qui est l’écriture. C’est l’exemple que doivent suivre ses amis, surtout les parents en encourageant leurs enfants à la lecture et à l’écriture. Je vis en ce jeune Poète un futur philosophe et Poète qui fera la fierté de sa famille et de son pays.
Yahn AKA
Writer –Editor
yahn@yahnaka.com