Chronique :«Retour aux Brazzavilles Noires-Hommage à GEORGES BALANDIER »Sous la direction de Henri O ssebi, Régine Tchicaya-Oboa, Raoul Goyendzi

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Dernère publication

Georges Balandier, auteur notamment de « Sociologie des Brazzavilles noires » (1955), est l’un des anthropologues et sociologues africanistes de langue française les plus connus aujourd’hui. Trois ans après sa disparition, ce « retour » aux sources congolaises de ses travaux rassemble ici les contributions présentées lors du colloque qui lui a été dédié à Brazzaville en 2018, par des universitaires locaux et par leurs collègues venus d’ailleurs. Une manière d’appropriation individuelle et collective de l’empreinte intellectuelle, toujours présente, de cet inoubliable “élève de l’Afrique”, comme il aimait le dire.

On ne remerciera jamais assez le comité d’organisation de ce colloque qui s’est tenu à Brazzaville, en 2018, en hommage à Georges Balandier. Henri Ossebi, Régine Tchicaya-Oboa et Raoul Goyendzi ont su réunir les meilleurs spécialistes de celui qui a toujours affirmé que « l’Afrique avait été sa seconde Sorbonne et qu’elle lui avait tout appris », comme nous le rappelle le sociologue Moustapha Tamba, professeur titulaire à l’Université Cheik Anta Diop de Dakar.
Apprendre de l’Afrique ? Faire de l’Afrique « sa seconde Sorbonne » ? Faut-il mettre en parallèle le livre d’Henri Michaux, « Un Barbare en Asie », paru en 1933, et la thèse complémentaire de doctorat de Georges Balandier, « Sociologie des Brazzavilles noires », qui sera publiée en 1955 ? Une phrase d’Henri Michaux permet ce rapprochement : « Jusque-là, les peuples pas plus que les gens ne m’avaient paru très réels ni très intéressants. Quand je vis l’Inde et quand je vis la Chine, pour la première fois, des peuples, sur cette terre, me parurent mériter d’être réels. »
Le poète Henri Michaux, qui n’est ni anthropologue, ni sociologue, a sûrement idéalisé ces peuples « réels » qu’il découvre en Asie. Il aura le mérite de se définir, lui, l’Occidental, comme le « barbare », alors que l’Occident reste persuadé, dans le droit fil d’une thèse imputée à Victor Hugo ou à Hegel, que s’accomplit, à travers la colonisation, une « mission civilisatrice ». A propos de l’Afrique, un grand humaniste comme Hugo dira : « l’Afrique n’a pas d’histoire. (…) peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ». Pour Hegel, « les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. »
Georges Balandier considère, au contraire, que l’Afrique a une histoire, bien entendu l’histoire des Royaumes africains, et non pas l’histoire fantasmée d’une absence d’Histoire selon l’hypothèse hugolienne, mais aussi l’histoire des peuples réels, l’histoire de la vie quotidienne des Africains. Lorsqu’il parcourt Brazzaville, en 1948, il « oublie », volontairement, la ville blanche, la ville coloniale, pour se consacrer aux deux villes « noires » situées à chacune des extrémités de cette ville blanche, Poto Poto et Bacongo. De ces deux « Brazzavilles noires », Georges Balandier dira : « J’eus très tôt la certitude que les villes noires n’étaient pas des périphéries à tenir en oubli (…). J’y voyais au contraire un nouveau monde social en devenir, un milieu créatif où s’expérimentaient des relations inédites, où se manifestait la confrontation conflictuelle du traditionnel et du moderne. »
La thématique du retour que véhicule le titre de ce livre-hommage désigne aussi la thématique d’une relecture nécessaire de l’œuvre de Georges Balandier au moment où les sociétés africaines subissent, plus que jamais, cette « confrontation conflictuelle du traditionnel et du moderne ».La démarche de Balandier consiste à étudier l’Afrique « par le bas » et non « par le haut », c’est-à-dire depuis une histoire écrite par l’Occident qui « installe la supériorité imposant à l’autre une infériorité de nature et donc sans recours. ». Les deux « Brazzavilles noires » ne sont pas d’une nature inférieure à la « Brazzaville blanche », comme elles ne sont pas des villes dont l’exotisme conduirait à en faire un musée des traditions. Balandier n’est pas simplement un ethnologue, il est aussi un sociologue « attaché à la compréhension du réel dans toute sa complexité », comme le dit très justement, dans la contribution qui ouvre la première partie de cet ouvrage, le sociologue Moustapha Tamba.
Dans son Allocution de conclusion, Henri Ossebi, Président du Comité d’organisation de ce Colloque consacré à Georges Balandier, a tenu à rappeler que l’on doit à ce dernier un discours anthropologique, ethnologique et sociologique novateur sur l’Afrique. Georges Balandier considère les deux « Brazzavilles noires » comme des laboratoires du changement. Il analyse alors les lieux de vie des Congolais : églises, entreprises, bars, cabarets, abords des gares routières, etc. Ce n’est donc pas un hasard si, comme le fait remarquer Monique Hirschhorn dans sa Préface, le Comité d’organisation du Colloque a tenu à mettre en couverture « un établissement bien connu des Brazzavillois », « Chez Faignond », ce fameux bar-dancing au cœur de Poto-Poto, premier sanctuaire congolais de la rumba et des musiques du monde.
Etudiant en Sorbonne, Georges Balandier avait su acquérir dans la prestigieuse université française un savoir académique qui aurait pu l’enfermer dans une vision traditionnelle de l’ethnologie. Il découvre en Afrique la réalité sociale africaine, c’est-à-dire des « peuples réels ». Il comprend alors, comme nous l’indique le titre provocateur de l’article qu’il publie en 1947 dans la revue Présence africaine que « Le Noir est un homme » comme les autres. Il va alors analyser ce qu’il voit : l’homme africain dans son rapport au temps, dans ses relations avec les autres, etc., ce qui lui permet de dire que « l’Afrique avait été sa seconde Sorbonne et qu’elle lui avait tout appris ».
Ce retour sur l’œuvre de Georges Balandier est utile au moment où se multiplient les discours bien rodés, inspirés par les think tank occidentaux néo-libéraux et la mondialisation marchande, d’une Afrique devenue l’un des moteurs de la croissance mondiale. Ces discours convenus, d’abord celui de la barbarie, ensuite celui de l’exotisme, enfin celui de l’économie, nous font oublier les peuples réels et la complexité des dynamiques qui font évoluer les sociétés, transforment les individus. Ce livre-hommage vient nous rappeler que l’œuvre de Balandier nous parle d’une Afrique qui n’est enfermée ni dans la tradition, ni dans l’exotisme, ni dans le modèle colonial.

Christian Gambotti
Président du think tank
Afrique & Partage
Editorialiste, politologue

Wakili Alafé
Directeur du quotidien
L’Intelligent d’Abidjan
Journaliste, essayiste, écrivain (auteur du roman Championne, L’Enjailleuse, 2016)

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