Dernère publication
Le microcosme politique aime, de façon nombriliste, s’agiter autour de débats qui prennent l’allure d’un jeu de rôles où chacun joue une partition convenue d’avance.
La Constitution qui sera présentée au vote lors du référendum conduisant le peuple à se prononcer est dans l’esprit de son initiateur Alassane Ouattara, une nouvelle Constitution qui instaure cette IIIe République.
Cette nouvelle Constitution sera le socle de la Côte d’Ivoire nouvelle que veut bâtir Ouattara. Elle servira de « tuteur » pour l’édification de l’Ivoirien nouveau. En matière de Constitution, prenons trois exemples : le Royaume-Uni n’a pas de Constitution écrite, où la manière de gouverner relève de la coutume ; aux États-Unis, le texte de la Constitution n’a pas changé depuis 1787 ; en France, la Constitution a été souvent modifiée. Aucune Constitution ne peut être rigide, gravée dans le marbre pour l’éternité. Les modifications doivent toujours aller dans le sens du progrès démocratique et de la consolidation des libertés. Les évolutions, dans de nombreux domaines, peuvent nécessiter une légitimation constitutionnelle.
En Côte d’Ivoire, les « chicailleries » politiciennes habituelles tournent autour de la question suivante : « simple révision constitutionnelle ou nouvelle Constitution ?»
Le Président de la République, et des cadres du RDR parlent, à juste titre, de nouvelle Constitution, sans rapport avec l’ancienne, puisqu’elle instaure une IIIème République. Amadou Soumahoro a choisi de parler de nouvelle Constitution, plutôt que d’évoquer une procédure de révision. Il s’agit de la position que le ministre-conseiller spécial, Bacongo Cissé, membre du comité des experts, a défendue ce week-end, devant les jeunes du Rdr, à la rue Lepic.
Sur ce sujet de la Constitution, majorité et opposition sont, chacune, dans leur rôle
Le président Bédié et le Pdci-Rda manifestent, malgré leur préférence sémantique et conceptuelle pour le terme de révision, un accord total avec le Président Ouattara sur l’ampleur, sur la pertinence et sur les enjeux des changements annoncés sans aucun rejet de fond, ni même de la forme.
L’opposition, et certains praticiens du droit rejettent aussi bien la forme (comité d’experts au lieu d’un cadre de concer- tation plus large pour décider des options avant de les soumettre au peuple souverain lors du référendum), que plusieurs aspects du fonds (Vice-présidence, Sénat et autres). Elle s’interroge aussi
sur l’opportunité et la pertinence d’une nouvelle Constitution. Elle estime, c’est son droit, qu’il s’agit une nouvelle Constitution. C’est là, pour elle, que se situe le problème, dénonçant implicitement un « coup d’État constitutionnel » avec la nomination d’un Vice-président selon la procédure prévue pour les cas de vacances du poste, la création d’un Sénat dont 1/3 des membres seront nommés par le Président de la République.
Le débat sur la procédure, sur la révision, sur la réécriture de l’ancienne Constitution semble relever de ces débats byzantins en décalage avec la réalité, car il présente un caractère d’une excessive subtilité, comme l’étaient les débats des théologiens byzantins, alors qu’autour d’eux l’empire s’effondrait.
Malgré l’insistance sur le caractère de nouvelle Constitution, la démarche du chef de l’État s’inscrit bien dans la procédure de révision telle qu’elle est préconisée par l’article 124 de la Constitution. Si c’est bien cette voie qui a été choisie, elle aboutit à une nouvelle Constitution par la révision de l’actuelle Constitution. Le chef de l’État n’a pas voulu faire une Constituante, vaste usine à gaz que réclament toujours les opposants au nom d’une mythique démocratie citoyenne, pour faire écrire par le peuple (quel peuple ?) et ses représentants (quels représentants ?) le projet de nouvelle Constitution. Plus de démocratie ne signifie pas la multiplication d’AG (assemblée générale) comme chez les étu- diants. C’est à partir de l’ancien que le neuf sera installé, la nouvelle Constitution n’est pas une création ex nihilo
Les débats doivent en réalité porter sur le contenu de la nouvelle Constitution et non pas sur son mode d’écriture : révision ou non de l’ancienne Constitution. Au
sein du Rhdp, il faut que les uns et les autres acceptent de prendre en considération la perception des choses par les uns et les autres.
Ce qui doit surtout retenir l’attention des uns et des autres, c’est par exemple, la procédure désignation du Vice-président de la République, en cas de vacance du pouvoir.
Cas pratique à penser : la Constitution nouvelle est adoptée et, en 2020, le PRÉ- SIDENT (PR) et VICE-PRÉSIDENT (VP) sont élus au suffrage universel. Quelques temps après, le poste de VP devient vacant (démission, maladie, empêchement, décès ou pour TOUT AUTRE RAISON CONSTATÉE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL SAISI PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE).
Comment remplace-t-on le Vice-président de la République ? Par ailleurs le poste de Vice-président peut bien devenir vacant, sans que le vice-président soit forcément devenu président. C’est un cas qui n’est pas souvent pris en compte. Prenons à présent le cas classique auquel tout le monde pense : le PR a un souci et le pouvoir est vacant : il démissionne, il est empêché par maladie ou autre in- capacité, il décède, il est l’objet d’une procédure de haute trahison (il ne faut rien exclure ).
Le mécanisme est mis en place et le vice-président devient Président de la République. Les exemples existent : Goodluck au Nigeria après Yar’Adua et Dramani au Ghana après Atta Mills ; aux États-Unis aussi.
Le Vice-président devenu Président de la République, on considère qu’il n’y a pas lieu d’organiser une présidentielle anticipée pour maintenir la stabilité po- litique et garantir la durabilité des insti- tutions.
Si le processus est encadré et est inclusif, il n’est pas nécessaire de limiter les pouvoirs du Vice-président de la République.
Pour rassurer ceux qui s’inquiétaient et évoquaient l’absence de légitimité d’un Vice-président nommé, le président Ouattara avait envisagé de lui interdire l’usage de l’article 48 et la possibilité de la formation d’un nouveau gouvernement, comme c’est le cas actuellement. Le dispositif actuel de succession ne crée qu’une situation transitoire de 60 jours jusqu’à de nouvelles élections. Dans ces conditions, le législateur a estimé que le président du parlement qui devient Président intérimaire n’avait pas besoin de former un nouveau gouvernement, ni d’user de pouvoirs exceptionnels.
Mais, puisqu’il s’agira désormais de terminer le mandat en cours, que ce soit maintenant ou plus tard, il n’y a pas lieu de limiter les pouvoirs du président de la République, tel que cela était d’ailleurs contenu dans les dispositions qui ont permis au président Bédié d’accéder au pouvoir en 1993.
Mais pourquoi après avoir expliqué tout ceci qui est bien compris et pris en compte aussi bien par le chef de l’État que par le comité des experts, l’on peut être inquiet ?
L’on est inquiet tout simplement parce que dans la mouture de la nouvelle Constitution, il est prévu de mentionner une ( ou une série de ) disposition ( s ), précisant que le président de la République, ( l’élection présidentielle ayant déjà eu lieu, et en prévision de l’élection prochaine de 2020 ), est autorisé exceptionnellement à enclencher le processus de désignation du Vice-président de la République.
Ne pourrait-on pas se passer de cette disposition transitoire qui donne un air de Constitution taillée sur mesure. Au lieu de chercher une disposition parti- culière et transitoire, n’y a-t-il plutôt lieu d’introduire des termes clairs, précis et à caractère général dans la détermination de la vacance du poste ?
En d’autres termes, n’est-il pas possible de considérer comme un cas de vacance de poste, l’absence d’un vice-Président du fait que la présidentielle a déjà eu lieu sous l’empire d’une ancienne Constitution ? L’adoption d’une nouvelle Constitution entraîne absolument une situation de vacance d’un poste qui n’était pas prévu dans la précédente, et qu’il faut combler. Ce cas de vacance doit être prévu, tout comme des cas de passage à l’avenir d’une constitution ancienne à une autre, sans qu’il soit nécessaire de recourir de façon expresse à la mention d’une disposition transitoire.
Comme une nouvelle loi, efface toutes dispositions contraire, comme tout le monde a constaté que figure encore dans la Constitution de 2000 la disposition transitoire relative à l’immunité accordée
aux membres du Cnsp (une disposition transitoire qui n’a pas empêché le procès des généraux Palenfo et Coulibaly malgré les protestations de leurs avocats), comme les dispositions transitoires ne sont pas à l’abri de toute forme d’interprétation et de confusion , ne faut-il pas s’en méfier et éviter ainsi cette voie , cette formulation ?
La question de la procédure de nomination du vice- président de la République même dans le contexte d’après-élection, peut bien être dans le domaine des dispositions générales, au lieu de faire l’objet de dispositions particulières et transitoires. Par ailleurs, la Constitution doit prévoir ce qu’on fait lorsqu’au même moment les postes de président et de vice-pré- sident sont totalement vacants. Qui assure l’intérim de 60 jours en vue de l’organisation de nouvelles élections. Le Premier ministre ? Le président du Sénat ? Cela dit, le principal enjeu du référendum à venir ne réside pas dans le fait que la nouvelle Constitution sera, ou non, adoptée, mais dans le taux de participation.
Le taux de participation pourra-t-il atteindre celui du référendum de 2000 ( 56%), ou tout simplement les 52% de la présidentielle d’octobre 2015 qui n’ont pas suffisamment interpellé ? Assurément tout dépendra de la stratégie adoptée par les adversaires du président Ouattara. Choisiront-ils le boycott ou bien décideront-ils d’appeler ensemble à voter non ? Les différents adversaires du référendum auront-ils une position plus unie que lors de la présidentielle? Par exemple si les “Gbagbo ou Rien” dans leur même logique, appellent au boycott, Affi N’guessan et les 22 autres partis politiques du “Non” rejoindront- ils la même posture, ou bien seront-ils tentés de voir combien va peser le “Non” dans les urnes ?
En attendant, il faut noter que le camp des adversaires du référendum a enregistré l’adhésion de ceux qui étaient défavorables au boycott de la présidentielle. Ce n’est pas rien !
Lors d’un référendum, on répond rarement à la question posée, mais à celui qui pose la question. Le taux de participation à la présidentielle de 2015 montre que le discours politique souffre d’un énorme discrédit. Les débats sur la Constitution passent au-dessus de la tête des Ivoiriens qui regardent leur assiette vide.
Ni la majorité, ni l’opposition ne pourra tirer de conclusion sur les résultats du référendum, qui aura, nécessairement, un taux de participation moyen.
Le vrai juge, ce sont les élections. Chaque camp fera le compte des forces qu’il ré-présente à l’issue des législatives qui suivront le référendum.