De la radiation de M. THIAM Cheick Tidjane de la liste électorale en Côte d’Ivoire : décision juridique ou politique ?

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Le droit a-t-il saisi le politique ou le politique s’est-il emparé du droit en le revêtant de ses plis comme un manteau ?

Selon un broquard populaire, « nul n’est au-dessus de la loi ». Ce principe élémentaire sacré et consacré par nos textes fondamentaux fonde « l’Etat de droit », concept selon lequel la Loi, lato sensu, s’applique à tous, gouvernants comme gouvernés. Ceux-ci devant respecter celle-là, la Loi. Nul ne peut ou ne doit prétendre s’y soustraire.
Si le politique peut défaire la Loi en la faisant abroger ou amender, le politique ne peut se défaire de l’application de la Loi. Mais, force est de constater que lorsque l’application de la Loi lui fait grief ou écorche ses ambitions politiques, il a tendance à crier et à se lamenter en dénonçant une décision politique. A contrario, lorsque le juge dans sa fonction de juridictio, celle de dire le droit et de rendre la justice, rend une décision qui soigne ses intérêts, le politique loue les mérites de la justice qu’il présente comme étant indépendance et impartiale. L’indépendance de la justice est donc regardée par le politique avec une lorgnette au gré de ses intérêts.
Quelle relation phallique tumultueuse entre le politique qui veut posséder de façon jouissive la justice et la justice qui se débat pour éviter une telle possession ?

Dans l’affaire de la décision de radiation du 22 avril 2025 de Monsieur THIAM Cheick Tidjane de la liste électorale provisoire, le cri assourdissant de ce dernier qui, voulant tromper par des manœuvres dolosives le juge, a été frappé par l’application rigoureuse de la loi. Celui-ci ayant échappé à la tentative de possession jouissive de celui-là, voit sa décision qualifiée prétendument d’injuste et de politique.

Qu’en est-il et que faut-il retenir? Il convient de relever qu’aux termes de l’article 12 alinéa 2 de l’Ordonnance n°2020-356 portant révision du code électoral, « Tout électeur a le droit de réclamer la radiation d’une personne décédée, de celle qui a perdu sa qualité d’électeur, de celle dont la radiation a été ordonnée par décision de l’autorité compétente ou d’une personne indument inscrite. »

Par application de cette disposition légale, plusieurs électeurs ont saisi le Président du tribunal d’un recours en radiation de l’inscription de Monsieur THIAM Cheick Tidjane sur la liste électorale provisoire. En effet, conformément à l’alinéa 6 de l’article 12 sus cité, « la décision de la Commission chargée des élections est susceptible de recours devant le président du tribunal territorialement compétent sans frais, par déclaration au greffe dans le délai de trois jours à compter de son prononcé ». Ce qui fonde la compétence du juge judiciaire pour connaitre du contentieux de la liste électorale.

Ce recours juridictionnel est fondé sur les dispositions des articles 48 de la Loi n°61-415 du 14 décembre 1961 portant Code de la nationalité ivoirienne (I) et 3 de l’Ordonnance n°2020-356 portant révision du code électoral (II).

I-Sur le fondement de l’article 48 du code de la nationalité

L’article 48 alinéa 1 du code de la nationalité dispose que : « Perd la nationalité ivoirienne, l’Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère, ou qui déclare reconnaître une telle nationalité. »

En l’espèce, Monsieur THIAM Cheick Tidjane de nationalité d’origine ivoirienne, né le 29 juillet 1962 à Abidjan, a été naturalisé français par décret en date du 24 février 1987, soit à l’âge de 25 ans ( Décret de naturalisation du 24 février 1987, JORF N° 51 du 1er mars 1987 page 2347). Dans ce décret de naturalisation, il convient de préciser que l’indicatif figurant à la suite de l’identité de l’intéressé THIAM Cheick Tidjane est NAT qui signifie naturalisé français et non EFF signifiant enfant susceptible d’être saisi par l’effet collectif attaché à l’acquisition de la nationalité française par ses parents.

Or, il ressort très clairement de cette disposition légale que la personne majeure qui volontairement acquiert une nationalité étrangère perd automatiquement, à savoir, de plein droit, la nationalité ivoirienne. Il n’est pas nécessaire qu’une formalité soit accomplie ou qu’une quelconque autre mesure soit prise.

Dès lors, la Juridiction saisie ne fait que constater que, par l’effet immédiat de l’acquisition d’une nationalité étrangère, Monsieur THIAM Cheick Tidjane a perdu la nationalité ivoirienne après avoir acquis la nationalité française le 24 février 1987, volontairement à sa majorité. Et, qu’au moment de son inscription sur la liste électorale, il était exclusivement de nationalité française. En conséquence, ayant perdu la nationalité ivoirienne depuis le 24 février 1987, il s’est fait inscrire en fraude sur la liste électorale en Côte d’Ivoire.

Nemo auditur propriam turpitudinem allegans « Nul peut se prévaloir de sa propre turpitude »

Monsieur THIAM Cheick Tidjane qui, par négligence, n’a pas pris les mesures nécessaires pour renoncer à la nationalité française et se faire réintégrer dans la nationalité ivoirienne avant son enrôlement le 19 décembre 2022 sur la liste électorale, ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Il n’est pas vain de rappeler que, contrairement à certaines allégations, l’article 48 alinéa 1 du code électoral a déjà été appliqué à un cas d’espèce en novembre 2011. En effet, par la Décision n° CI-2011-EL-054/17-11/CC/SG du Conseil Constitutionnel rendue le 11 novembre 2011, Monsieur TIOTE Souhaluo a été jugé inéligible, au motif que : « les dispositions de l’article 48 alinéa 1 du Code de la nationalité ivoirienne ne lui permettaient pas de conserver la nationalité ivoirienne alors même qu’il reconnaissait, bien après sa majorité (quarante ans révolus) à la date de sa naturalisation en l’an 2007, avoir acquis volontairement la nationalité française ».

De cette même décision, il ressort que : « Les autorités ivoiriennes ont à tort délivré à l’intéressé ayant perdu désormais la nationalité ivoirienne par l’effet d’acquisition de la nationalité française, les cartes nationales d’identité ivoirienne et d’électeur, exclusivement sont réservées aux ivoiriens, conformément à l’article 3 du code électoral ».

Les juges de la haute Juridiction ont aussi jugé que : « C’est à mauvais droit que la Commission électorale indépendante a enregistré et validé sa candidature alors qu’il n’a pas la qualité d’électeur pour prétendre être candidat à l’élection de député en Côte d’Ivoire ».

Il s’en déduit que Monsieur THIAM Cheick Tidjane ne peut se prévaloir de sa propre turpitude car étant majeur au moment de l’acquisition volontaire de la nationalité française il a, par application de l’article 48 précité, perdu immédiatement la nationalité ivoirienne dès la date de sa naturalisation le 24 février 1987.

II-Sur le fondement de l’article 3 du code électoral

L’article 3 du code électoral dispose : « Sont électeurs les ivoiriens des deux sexes et les personnes ayant acquis la nationalité ivoirienne soit par naturalisation soit par mariage, âgés de dix-huit ans accomplis, inscrits sur une liste électorale, jouissant de leurs droits civils et politiques et ne se trouvant dans aucun des cas d’incapacité prévus par la loi ».

Il ressort de cette disposition légale que ne peuvent être électeurs que les personnes de nationalité ivoirienne. N’étant plus ivoirien depuis le 24 février 1987, Monsieur THIAM Cheick Tidjane a, en conséquence, perdu sa qualité d’électeur. C’est donc à tort que la Commission Electorale Indépendante l’a inscrit sur la liste électorale provisoire.

En ce sens, le Juge Constitutionnel dans sa décision n° CI-2011-EL-054/17-11/CC/SG du 11 novembre 2011, a jugé que la Commission électorale indépendante a enregistré et validé la candidature de Monsieur TIOTE Souhaluo alors que ce dernier n’a pas la qualité d’électeur pour prétendre être candidat à l’élection de député en Côte d’Ivoire.

Il en résulte que, Monsieur THIAM Cheick Tidjane qui a perdu la nationalité ivoirienne après avoir acquis la nationalité française le 24 février 1987, volontairement à sa majorité, est dépourvu de la qualité d’électeur. Or, l’inscription sur la liste électoral sans avoir la qualité d’électeur est une fraude à la loi, qui a pour conséquence la radiation par le juge.

Au regard de ces deux dispositions légales sus évoquées et analysées (article 48 du code de la nationalité et article 3 du code électoral), le juge ne pouvait que prononcer la radiation de Monsieur THIAM Cheick Tidjane de la liste électorale provisoire publiée le 17 mars 2025. Cette décision du président du tribunal « ne fait l’objet d’aucun recours », conformément à l’article 12 alinéa 8 du Code électoral.
En somme, la décision de radiation du sieur THIAM Cheick Tidjane revêt un caractère juridique et non politique. Elle a des conséquences sur la vie politique, c’est certain, mais cela ne saurait entacher sa nature juridique. La construction de l’Etat de droit ne peut continuer à s’accommoder avec des arrangements politiques qui l’affaiblissent et empêchent son éclosion ou son épanouissement. Ainsi soit-il !

Dr. GUIBESSONGUI N’Datien Séverin
Docteur en Droit & Avocat

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