Décryptage-Dj Arafat ou ambiguïtés des relations entre «L’enfant béni de Dieu» et les Ivoiriens

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rticle paru dans la version imprimée de l’Intelligent d’Abidjan, le lundi 19 août 2019, une semaine après la mort de DJ Arafat !

Une idole, souvent aveuglée par les lumières du succès et l’admiration de ses fans, peut être amenée à se croire invulnérable, immortelle même, puisqu’elle existe au-delà du réel, comme légende.

DJ Arafat était devenu une idole, une légende. Il lui suffisait de vouloir pour pouvoir. Ainsi, cabrer une moto dans la nuit d’Abidjan, comme conduire vite, est, pour une idole de la musique populaire, un simple jeu.

Mais le jeu est souvent mortel. Ce fut le cas de James Dean, acteur mythique, mort le 30 septembre 1955 dans un accident de voiture. Ce fut aussi le cas pour DJ Arafat, icône du coupé-décalé et artiste majeur de la Côte d’Ivoire, mort lundi 12 août à 33 ans, dans un accident de moto, survenu la nuit précédente dans les rues d’Abidjan.

L’idole est toujours une personnalité sulfureuse, décalée, en rupture avec les codes de la «bien-pensance », et au comportement erratique, déjà sacrifiée sur l’autel de la légende par la drogue, l’alcool et l’inconscience. Sa mort, alors qu’il est encore jeune, le transforme en martyr et ajoute à sa légende.

DJ Arafat était un grand artiste que sa légende avait rendu célèbre. Sa mort est en train de le rendre encore plus grand. Par sa disparition tragique, DJ Arafat réconcilie deux pans apparemment irréconciliables : la jeunesse ivoirienne, souvent révoltée, bouleversée par sa mort, et la sphère politique qui lui rend de nombreux hommages.

Cette réconciliation prend la forme d’un hommage national, déjà annoncé par le ministère ivoirien de la Culture. Ses fans ont lancé une pétition pour qu’une cérémonie soit organisée au stade Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan. Le destin d’une idole est d’être récupéré.

Cette situation conduit à faire du destin d’Arafat une autre lecture.

[ Arafat, une autre lecture du destin d’une idole ! ]

À cause de sa réputation sulfureuse, certains observateurs ont tendance à présenter Arafat comme un coupable ou comme une victime de lui-même.

En réalité, DJ Arafat n’a-t-il pas été plutôt victime de la société dans laquelle il a vécu ? Il a été victime des exigences d’une société qui condamne ceux qui n’ont pas un vie normale, qui n’ont pas un comportement « normal ». Arafat est né dans une famille recomposée qui s’était déjà décomposée dans une vie antérieure. Artistes, le père et la mère ne sont pas restésensemble. Livré à lui-même, Arafat a été un enfant de la rue. Il s’est battu, il s’est débrouillé pour survivre. À 33 ans. Arafat était depuis 15 ans, une idole, car il a commencé à être connu dès l’âge de 18, 19 ans. A l’âge de 23 ans, il était déjà un leader, à la Une des journaux, comme ces autres idoles que sont les footballeurs. Ces jeunes idoles de la musique ou du sport, ont de l’argent. Sont-ils correctement encadrés, préparés à cette gloire et à cet argent qui brûle les mains ?

Photo: DR/Universal Music
Photo: DR/Universal Music

Arafat n’a pas refusé d’être encadré, la vérité est que son talent n’a jamais été accepté, reconnu par tout le monde. Il a dû se battre pour s’imposer, et pour continuer à faire accepter l’idée que les jeunes qui l’aiment et l’apprécient ne sont pas des désœuvrés , des désespérés, des drogués, ni des aigris.

Que n’a-t-on pas dit sur sa musique ? Du bruit, de la fausse musique ! Que n’a-t-on pas dit sur son comportement ?

On rappelle volontiers depuis peu la tentative qui a été faite de le « blacklister » ces derniers temps. Par des médias et des sponsors, pour lui faire payer ses grossièretés, et son caractère d’anti modèle dangereux pour la société et les enfants.

Se faire « blacklister », c’est être exclu d’un groupe, d’une société. Il avait pourtant reçu le prix Kora , même si cela avait été aussi critiqué à l’époque par certains , et considéré comme une distinction complaisante.

DJ Arafat n’a jamais voulu être un modèle, et être porteur d’une morale convenue, comme peut l’être un homme de Dieu, qu’il soit prêtre, imam ou rabbin.

Photo: DR/Yeclo
Photo: DR/Yeclo

Il affirmait n’êtreque pour faire danser et donner de la joie.  La morale est du côté de la religion et des règles que la société nous impose. Arafat a voulu rester dans son domaine : la musique, le coupé-décalé, musique et danse de l’« enjaillement ». Il ne s’est jamais voulu moralisateur. Il invitait ceux qui attendaient plus de lui sur ce terrain, à lire la Bible ( et éventuellement le Coran), comme il a brandi le livre saint dans une de ses vidéos.

Il n’était pas reconnu comme un modèle et, pourtant, on attendait de lui qu’il endosse les habits du moralisateur. D’où la polémique avec l’émission « Wozo vacances’ ». Les autres artistes coupé-décalé ou zouglou imités ne sont pas forcément des modèles. Ce sont les mêmes vêtements qu’ils portent, c’est la même musique qu’ils font, ce sont les mêmes excès, et les mêmes outrances qu’ils manifestent.

DJ Arafat en faisait-il trop, de façon trop visible ? En quoi les autres étaient-ils plus que lui des modèles à imiter ? Ont-ils renoncé à l’alcool, à la cigarette, aux substances illicites, aux libertés sexuelles et à tous les autres comportements qui pouvaient être reprochés  ? Ils sortent bien tous du même moule. Y’a-t-il un mauvais adepte du coupé décalé, à côté de bons adeptes du coupé décalé ?

Il y avait chez DJ Arafat, une exigence de sincérité. D’où sa révolte contre le sort qui lui était fait, au profit des gens qu’il trouvait moins brillants que lui, et qu’il ne trouvait pas forcément plus vertueux que lui.  DJ Arafat a toujours assumé sa différence, malgré les obstacles, Il a émergé, est devenu une icône. On a exigé de lui qu’il soit une icône du devoir sans vouloir reconnaître son talent.

[ Telle est la grande hypocrisie de nos sociétés, la cause du conflit entre Arafat et la société ]

Je voulais revenir sur le sort  fait  aux gens venus du peuple, aux stars dont la rue a été le premier podiumet à toutes cescélébrités africaines, qui ne viennent pas des beaux quartiers, de la bonne société et qui ont subi, comme Arafat, des attaques.

Le dernier exemple est celui de Didier Drogba. Quand Didier Drogba fait un post pour pleurer la mort   du père   d’Hamed Bakayoko, certains admirateurs le critiquent et disent des choses inimaginables. Il ne s’appartient plus, et on attend de lui des choses impossibles.  Quand il va saluer Simone Gbagbo, il est également attaqué. Quand il ne se prononce pas sur la crise ivoirienne, il est critiqué par ceux qui auraient souhaité qu’ils portent leur combat politique partisan. Arafat n’a pas échappé à toutes ces attaques.

Magic System, Didier Drogba et d’autres sont utilisés pour devenir les ambassadeurs de causes justes. Alpha Blondy a été choisi comme ambassadeur de la paix à l’époque par l’Onuci.  Pourquoi personne n’a demandé à DJ Arafat, en tenant compte de sa popularité, de devenir l’ambassadeur des bonnes causes ? Le leadership d’Arafat, ce qu’il représentait pour une certaine frange de la jeunesse africaine n’a pas été utilisé, parce qu’il n’a pas été reconnu et accepté. On se souvient seulement d’une tentative d’un ministre des transports de faire de lui, un ambassadeur de la bonne conduite, sur les routes pour inviter les chauffeurs à la prudence !

Aurait-il pu, avec le temps, se « notabiliser », rentrer dans le rang, comme les chanteurs vieillissants, les artistes et stras qui deviennent sages avec l’âge  ? Devenir un ambassadeur Unicef, UNESCO, Onusida, un ambassadeur chargé de la lutte contre la migration clandestine et irrégulière …. ? Personne ne le saura. La mort l’a arraché au temps présent.

Quand le Président de la commission de l’Union africaine him self, a considéré qu’Arafat incarnait les aspirations de la jeunesse africaine, on a vu des gens lui dénier cette façon de voir  : « Mais quelles sont ces aspirations ? » On passe toujours sous silence les réputations sulfureuses.

La tragédie de sa mort ajoute à sa légende sulfureuse. Elle contribue à faire croire que la jeunesse vit sous le signe du « no future », cette sorte de philosophie nihiliste qui conduit à privilégier l’individualisme et l’immédiateté.

Or, il suffit d’écouter les paroles d’une de ses chansons, « Que ta volonté se fasse », pour comprendre qu’Arafat n’était pas simplement l’idole du coupé-décalé.

Relisons les paroles de « Enfant béni » :

« Mon père il m’a quitté

Aujourd’hui je me défends tout seul

Y’a ma mère qui me soutient

et je rends grâce à Dieu

Soyez forts!!! (Soyez forts!!!)

Soyez toujours forts!!!

(Soyez toujours forts!!!)

Il ne faut jamais baisser les bras

J’ai appris à voler de mes propres ailes

Je n’ai jamais compté sur quelqu’un dans cette vie

Soyez forts ehhh. »

Le véritable Arafat se découvre dans cette chanson, « Enfant béni », qui résume une philosophie de vie : « Soyez toujours forts/Il ne faut jamais baisser les bras/J’ai appris à voler de mes propres ailes ».

Quel formidable message pour les enfants des rues, pour la jeunesse africaine ! Faut-il « institutionnaliser » Arafat à travers des hommages convenus ? Sûrement. Mais, cela ne doit pas être une récupération.

Photo: DR/Bluewin
Photo: DR/Bluewin

Au fil des années, je suis devenu fan d’Arafat, autant pour le coupé-décalé que pour des chansons comme « Enfant béni ». Je viens de réécouter l’interprétation de « With a little help from my friends » par Joe Cocker, à Woodstock, voilà 50 ans.

Il y a dans ces chansons l’éloge du collectif. Ecoutons encore « Que ta volonté se fasse : « Je représente la voix des sans voix,/ De tous ceux qui recherchent une voie,/ Au mon Dieu, essaie d’écouter,/

Mes rimes que je ne cesse d’adresser,/(…)

Fils du ciel, nous sommes tous un,/

Et notre intérieur est commun,

Hormis les préjugés sur l’écorce et le QI ».

Voilà ce que je voulais dire, sur Arafat. Son histoire est un peu une partie de notre histoire, à nous les Africains, toujours en quête de notre identité, comme si nous n’avions pas surmonté le complexe d’un continent colonisé.

Il est temps pour nous d’apprendre « à voler de nos propres ailes ». Arafat avait appris à voler de ses propres ailes .

Malheureusement, il n’a jamais été véritablement accepté comme un champion. Toujours contesté , sans aucun répit, incapable de dormir sur ses lauriers, il devait être constamment sous pression, pour mériter son salaire et garantir son bien être.

Dans une société devenue de plus en plus exigeante dans la lutte contre l’impunité sous toutes ses formes, dans une société qui revendiquait l’État de droit pour tous, et l’égalité de traitement pour tous les citoyens devant la loi, Arafat ( comme si Dieu avait voulu le blanchir sur ce point ), a affronter la justice !

Face à la pression de l’opinion publique, et à la menace de la prison , l’artiste a dû vivre une sorte de semiexil suite à la bastonnade filmée d’un de ses protégés qu’il voulait corriger. La famille a été incitée à porter plainte. La justice a convoqué Arafat. Absent au procès, il a été condamné. Il a échappé par la suite à la prison, après être présenté devant les juges, dans une sorte de pédagogie visant à dire qu’il n’est pas au dessus des lois, et que DJ Arafat n’est qu’un simple citoyen, comme tout autre.

Cet exemple devrait suffire, ainsi que le contentieux avec Traces TV, et la polémique de l’exclusion de la séance d’imitation à l’émission des enfants Wozo Vacances il y’a six ans , pour ajouter à l’idée que la société ivoirienne et africaine qui rend hommage à Arafat, est bien aussi la même société qui prenait plaisir à le « martyriser », à lui démontrer qu’il ne fait rien de bon, et qu’il ne tient que parce qu’il avait un papa, un parrain politique qui lui garantissait une totale impunité.

Tout le monde semblait voulait faire de DJ Arafat un modèle pour la jeunesse, sans jamais prendre acte de sa popularité, et de l’adhésion déjà acquise d’une grande partie de cette jeunesse à cet homme.

Photo: DR/maliactu
Photo: DR/maliactu

Les populations ivoiriennes semblent n’avoir pas pris en compte l’ampleur de la dimension de Arafat. Même dans sa mort, la même ambiguïté avec ceux qui ne l’ont jamais porté dans leur cœur, ni reconnu ce qu’il représente, réapparaît.

Ainsi quelques voix se voulant iconoclastes jouent les rabatsjoies , déplorant l’hommage de la classe politique qui serait à la recherche des voix électorales des partisans de l’artiste.

Quelles méchanceté et inélégance à l’égard de cet artiste même dans la mort , que de vouloir lui dénier ces hommages auxquels il n’a pas eu droit de son vivant de façon sincère !

Qui conteste le talent de Alpha Blondy ? Qui conteste le talent de Tiken Jah, Meiway, Gadji Celi, ou même Serges Kassy malgré ce que l’on pourrait leur reprocher en terme de comportement ?

Pourquoi vouloir réduire Arafat à une forme d’imposture et lui refuser dans sa mort, le droit à la reconnaissance nationale et internationale ?

Bien sûr il y’a des excès de certains de ses partisans présumés à ne pas accepter , bien sûr qu’il y’a aussi cette affaire de résurrection de la part d’un pasteur imposteur à dénoncer, mais rien ne justifie cette tentative de faire passer pour non acceptables les hommages rendus à « l’enfant béni de Dieu » , Arafat Dj, né Houon Didier Ange un 26 janvier 1986, et mort 33 ans après le 12 août 2019.

Charles Kouassi

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