Devoir de mémoire : Attention à la tentation de Dieu et de la religion en Côte d’Ivoire (Éditorial écrit en Février 2011)

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Dernère publication

À (re) lire un éditorial écrit et publié en pleine crise post électorale en Février 2011. 

Au moment où la religion et l’ethnie continuent d’être exaltés dans la vie publique et politique par des acteurs sociaux et politiques, sa rediffusion se justifie. 

La crise actuelle en Côte d’Ivoire est une crise postélectorale sur fond de deux visions de la Côte d’Ivoire. Elle oppose la majorité présidentielle et le RHDP. Elle n’est pas une crise ethnique ni religieuse. Parce que le camp Gbagbo n’est pas peuplé que de Bété, d’Atié, ni que de Dida. Parce que le camp Ouattara ne contient pas que des Malinkés et des Senoufos. Au RHDP, il y a aussi les Akans et le PDCI.  À la LMP, il y’a un peu de tout. À priori la crise postélectorale n’est donc pas tout à fait ethnique ni tribale même si la tentation est grande de recourir à cela, puisque le raccourci arrange bien de gens. 

Le recours à la tribu, à la religion a de gros handicaps. D’abord un groupe ne peut à lui seul, réussir à dominer tous les autres. Ensuite la fusion et le mélange entre les populations ivoiriennes et non-ivoiriennes est tel qu’il semble difficile de réduire tout cela à néant d’un seul trait. 

À ce sujet il faut noter la sortie du fils d’Alpha Blondy, Ismaël Agana : ne me demandez pas de choisir entre mon père et ma mère. Alpha Blondy est Alpha Blondy (Koné Seydou). Il est ivoirien. Malgré ce qu’on pourrait trouver d’inconstant dans son attitude, Alpha Blondy a été constant sur au moins un point, depuis vingt ans : la lutte contre l’ivoirité et l’exclusion. C’est ainsi qu’on avait aperçu sa silhouette dans la charte du Nord. Des personnalités et non des moindres comme Fologo ont été également identifiées dans cette charte qui a circulé sous Houphouët et qui était une mobilisation avant l’heure contre l’ivoirité. Alpha Blondy, de son soutien à Bédié à Gbagbo, en passant par Ouattara n’a pas varié sur ce point fixe. Même quand il soutenait Laurent Gbagbo, Jagger dénonçait le venin de l’ivoirité et de l’exclusion. Tout cela pour dire que jouer la carte ethnique et tribale n’est à l’avantage de personne. 

C’est encore plus difficle quand on visite la carte religieuse. L’on a lu que des soldats vont en mission et en intervention avec une bible dans la poche. On exalte Dieu, on exalte la religion, on exalte le christianisme. À priori cela est bien, mais cette exhibition de sa foi est-elle  conseillée dans le contexte actuel. N’y a t-il pas de musulmans qui soutiennent et qui aiment Laurent Gbagbo ?  Ou bien le choix a-t-il été fait de tirer le trait sur une partie même minoritaire pouvant soutenir Laurent Gbagbo parce que la majorité n’aurait des yeux que pour Alassane Ouattara malgré les tentatives de séduction ?  

À côté de l’exaltation du Christ et de la Bible pour mobiliser et doper la foi et la conviction en la victoire de Laurent Gbagbo, que penserait-on des Fds qui sont musulmans, et qui pourraient êtres tentés de brandir le Coran pour soutenir Laurent Gbagbo ?

 Dans cette Côte d’Ivoire laïque, peut-on admettre qu’un Fds musulman brandissant un Coran , peut-être un bon républicain ,un partisan résolu de la légalité constitutionnelle ?

Le piège de l’instrumentalisation tribale et religieuse a officiellement été évité jusque-là. C’est ainsi qu’à la suite de la prise de position ouverte du clergé catholique en faveur de la légalité constitutionnelle, le clergé musulman majoritaire est resté silencieux. Imagine-t-on la dimension que prendrait la crise si les chefs musulmans se mettaient à exalter Dieu et l’Islam et à inciter les fidèles à lutter pour la victoire de Ouattara car telle est la volonté de dieu ? Qu’Allah nous en garde !

Le temps pour chacun de revisiter les choses est encore possible, car tout n’est pas encore gâté. Et surtout tout ne doit pas être gâté. Chacun doit se ressaisir pour éviter de détruire davantage la cohésion nationale. Qu’on soit LMP ou RHDP, il faudra bine vivre encore et toujours ensemble après la crise. Aussi convient-il de ne pas trop en faire et de ne pas trop tirer sur la corde. Autrement lorsque chacun par instinct et atavisme se réfugiera dans sa tribu et, dans sa religion, ce sera gâté, gâté, gâté. Pour tous !

Attention donc à la tentation du Christ et à la tentation de Mahomet, à côté de la bombe ethnique et tribale. Trop de bombes rodent et sont prêtes à exploser autour de nous, en dommage collatéral de la crise politique post électorale. Trop ! Désamorçons les toutes.

Encore une fois, empruntons la complainte et l’interpellation à Alpha Blondy : Bombe tribale, bombe coloniale, comment allons nous faire pour la désamorcer ?

Chaque époque ayant sa vérité, Alpha Blondy peut se targuer d’avoir été visionnaire et prophétique : armée française, allez-vous en ! Nous ne voulons plus de vous, nous ne voulons plus de vous. 

Mais Alpha Blondy n’est pas un homme politique. Il n’est pas décideur. C’est aux politiques de prendre des décisions. 

À temps ! en toute responsabilité ! Sans recours à la tribu ni à la religion !

Charles Kouassi

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