Éditorial: L’Afrique épargnée par Covid 19 ou réflexion sur la tentation de solution africaine ?

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La progression de la nouvelle maladie au nouveau Coronavirus 2019 semble limitée en Afrique. Cette situation pousse des intellectuels, des observateurs de la vie sociale, politique et économique sur le continent, et même des décideurs, à plaider pour une réponse africaine à la maladie, en demandant de faire fi des mesures de confinement prises en Europe, ou dans d’autres régions du monde, et mises en application Afrique.

En même temps, sur le continent, les populations semblent n’être pas en mesure de respecter de façon stricte les mesures barrières, sans que cela ne soit, pour le moment, un facteur de propagation massive de la maladie.

Cet état de fait renforce encore l’idée que l’Africain serait invulnérable à la maladie pour deux raisons : d’une part une population jeune, et dont 41 % ont moins de 15 ans, avec en 2012, l’âge médian du continent est de 20 ans ; et d’autre part le climat , avec l’idée que le Covid 19 frapperait essentiellement les pays tempérés, et non tropicaux ou aux climats chauds.

C’est dans ce contexte de relative confiance que le Cameroun a annoncé la réouverture des maquis et des restaurants au-delà de 18:00. Cela signifie que ces endroits restaient ouverts jusqu’à 18 h, à ce jour. D’autres pays annoncent la reprise progressive des activités de restauration, tout en maintenant des limitations et restrictions dans les spectacles, les sports collectifs.

La menace existe pourtant

Pourtant l’Afrique n’est pas à l’abri d’une flambée de la pandémie, et cela peut même conduire certains à dire que les mesures préconisées et déjà appliquées (gestes barrières, confinement) ne sont pas efficaces.

Dans ce contexte qui oscille entre optimisme, insouciance et une revendication d’indépendance et de souveraineté médicale, les mois de Mai et de Juin 2020 seront décisifs en Côte d’Ivoire, avec l’augmentation de la capacité de dépistage.

En montant à 1500 tests par jour soit environ 50 000 tests en un mois, contre seulement 15 000 tests environ en deux mois à ce jour , la Côte d’Ivoire aura sans doute des données plus précises. Si par exemple le nombre de cas positifs, puis de cas positifs graves, et de décès n’explose pas pendant que les tests augmentent , la Côte d’Ivoire et les autres pays du continent devraient alors apprendre à vivre avec la maladie, tout en veillant au strict respect des premières mesures barrières déjà édictées partout dans le monde , et qui peuvent tout aussi avoir leurs conséquences, en attendant le retour à une vie normale ante.

Le vaccin comme seule réponse

Telle que la maladie a été présentée depuis son apparition, avec les incertitudes que nous avons dans tous les continents , sans oublier le tâtonnement de la science médicale, seule une solution thérapeutique efficace, ou la mise en service d’un vaccin, permettra de revenir à une vie normale, comme nous vivons plus ou moins déjà avec toutes les autres pathologies, contagieuses ou pas.

Intégrer les gestes de santé publique

La reprise attendue des activités régulières en Afrique comme ailleurs, ne doit pas être l’occasion d’oublier qu’il faut continuer de se laver régulièrement les mains, qu’il faut porter un masque.

La reprise des activités ne doit signifier que les transports publics doivent être pris d’assaut comme avant, sans le respect d’une distance d’un mètre entre les individus, même si tout le monde porte un cache nez. Une petite inattention peut, à tout moment, avoir des conséquences terribles.

Sans vouloir faire de politique ni de polémiquer , il y’a lieu d’interpeller ceux qui parlent sans cesse de solutions africaines spécifiques.

Prenons l’exemple des débats passionnés sur la démocratie. Existe-t-il une démocratie à l’africaine, qui serait différente de la démocratie à l’européenne ou à l’américaine ? Parler d’une réponse spécifiquement africaine à la démocratie , n’est-ce pas nier le caractère universel des valeurs de la démocratie, n’est-ce pas accepter de supprimer certains marqueurs comme la liberté de la presse, la transparence, l’État de droit, le refus de la corruption ? N’est-ce pas revenir à ces débats d’authenticité culturelle, à cette revendication d’anti colonialisme qui n’a jamais disparu sur le continent, sans oublier le viol que fut l’esclavage?

Si on nous parle de solution africaine, cela ne sera peut-être qu’une solution pour l’Afrique , et alors le continent ne pourra pas partager son expérience, ni son expertise, lorsqu’il aura vaincu la maladie. Une solution adaptée à l’Afrique est une solution pour l’Afrique . Elle ne peut pas être une solution pour la Chine, l’Amérique et l’Europe …

Une réponse globale et universelle

La réponse à la pandémie ne peut être qu’une réponse globale et universelle. Toute l’humanité doit s’inscrire dans le périmètre d’un combat que définissent les connaissances de la médecine, même s’il appartient au pouvoir politique de décider. À l’heure où des spécificités africaines sont recherchées en Afrique, pour combattre la maladie au nouveau Coronavirus, il y a lieu d’appeler à l’extrême vigilance en ces deux mois décisifs de Mai et de Juin 2020. Il ne faut en aucune façon relâcher le respect des mesures barrières. Il est même nécessaire de renforcer l’application des mesures de restriction.
La mise en avant des seuls impératifs de survie de l’économie et des contraintes de la vie au jour le jour que connaissent des millions d’Africains, sont une posture qui ne peut interdire de rompre à la fin de la crise avec ce vrai-faux secteur informel, dans lequel populations et pouvoirs publics semblent se complaire pour échapper aux exigences de l’État de droit, des règles de citoyenneté fiscale, de la transparence et de la bonne gouvernance.

Cette solution d’une réponse africaine fondée sur l’existence d’un secteur informel, qui fournit 7 emplois sur 10, ne doit pas servir de prétexte pour maintenir une situation d’évaporation des richesses nationales qui arrange, à court terme, de nombreuses personnes et les États qui ne peuvent financer les politiques publiques. L’Afrique a besoin de se projeter dans l’avenir, et de prendre sa part dans les solutions des problèmes du monde. Elle ne doit pas limiter ses ambitions, car une solution africaine doit aussi être une solution universelle, aller au delà de l’Afrique.

Nous ne demandons nullement pas au continent de tout copier, mais nous mettons en garde contre l’euphorie et le sentiment d’invulnérabilité. Hormis cela, l’universel n’empêche pas le spécifique, et le singulier, et l’adaptation à chaque pays, des mesures générales prises par les uns et les autres .

Wakili Alafé

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