Éditorial – Ouattara et Bédié ne sont pas des hommes du passé mais attention

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Dernère publication

L’avant-projet de constitution a été porté à la connaissance des Ivoiriens , presque par effraction, sans que l’initiative vienne du gouvernement.

L’intégralité du texte a été publié dans L’Intelligent d’Abidjan du lundi 3 octobre 2016. Le gouvernement est dans l’attente des premières remarques, puis des amendements qui seront proposés et votés par l’Assemblée nationale. Le texte définitif, une fois adopté, sera soumis, par référendum, au vote des Ivoiriens et des Ivoiriennes .
Le texte correspond exactement à ce que pense le Président de la République, qui souhaite l’avènement d’une société ivoirienne ouverte, fondée sur « la tolérance politique, ethnique, religieuse ainsi que le pardon et le dialogue des cultures » (Préambule ) et dont le pluralisme n’est pas un obstacle « au renforcement de processus de réconciliation nationale et à la cohésion sociale » (Préambule).

La nouvelle constitution réaffirme « la forme républicaine du gouvernement ainsi que la laïcité de l’État » (Préambule) et la « détermination à bâtir un État de droit », selon les normes juridiques internationales (Préambule).
Avec ses 184 articles sur 57 pages, la constitution est particulièrement longue, ce qui s’explique par la volonté de rappeler des principes et le souci de précision sur tout ce qui concerne la manière de gouverner, le rôle des institutions, la vie en société et le « vivre ensemble ».

On note, parmi les avancées, avec les articles 35 à 37, l’affirmation de l’égalité réelle entre les hommes et les femmes et la volonté de promouvoir la parité sur le marché de l’emploi et les assemblées élues.
On note aussi la création du Sénat (articles 85 et 87) avec 1/3 des sénateurs nommés par le Président de la République, la constitutionnalisation de « la chefferie traditionnelle » représentée par « la Chambres nationale des Rois et Chefs traditionnels » (Titre XIV, chapitre I, articles 175 et 176).

Sur l’affirmation des principes et la manière de gouverner, sur la protection et le renforcement des libertés individuelles, sur la protection des plus démunis, sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, sur la protection de l’environnement, sur la limitation à deux mandats présidentiels, sur les droits de l’opposition, la nouvelle constitution essaie de répondre aux normes démocratiques des États modernes.
L’esprit est bien celui d’une révolution culturelle que symbolise l’article 55 de la constitution : « le candidat à l’élection présidentielle […] doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine. » , même si des explications sont encore nécessaires à ce niveau.
Cet article 55, en se substituant au « fameux » article 35 de la constitution précédente,- « Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine » -, qui avait permis de déclarer inéligibles à l’élection présidentielle de 2000 certains candidats, annule l’exploitation politicienne de la question de l’identité, afin d’invalider telle ou telle candidature à partir de 2020 , même si une clarification s’impose , comme indiqué plus haut .
Trois sujets méritent de passer au crible du débat démocratique : le statut du Vice-président, le verrou de l’âge qui saute pour être candidat à la présidentielle, la nomination d’1/3 des sénateurs par le Président de la République.

Le statut du Vice-président – D’abord, pourquoi avoir choisi d’installer entre le Président et le Premier ministre, entre l’exécutif (gouvernement) et le législatif (assemblée nationale et sénat) un Vice-président ? Le débat est ouvert. À l’évidence, le Vice-président et le Premier ministre seront en concurrence sur certains dossiers, le Vice-président devenant un « Super-Premier ministre » (articles 78, 79). Avec l’article 62, le Vice-président, en cas de vacance de la Présidence de la République, « devient, de plein droit, Président de la République », ce qui entraîne le recul du Président de l’Assemblée nationale dans la hiérarchie protocolaire. Est-ce une manière de couper le lien entre l’exécutif et le législatif ? Mais alors pourquoi le Président de la République, aura-t-il les prérogatives d’influer sur le législatif , avec la nomination d’un tiers des membres du Sénat ?

Il est évident que l’identité du Vice-président, qui sera nommé en 2017, est l’objet de toutes les spéculations. Nombreux sont ceux qui se voient en Vice-président. En 2020, le Président de la République et le Vice-président seront élus en même temps, formant un ticket à l’américaine.
Petit problème : dans certains États, alors qu’ils ont fait cause commune au moment de l’élection présidentielle, le Président et le Vice-président sont aujourd’hui en guerre (Soudan du Sud), la question de fond, en politique, étant toujours celle du partage du pouvoir. Cette question se résout « pacifiquement » dans les grandes démocraties.

Le verrou de l’âge qui saute – Peut-on être candidat à la Présidence de la République à 35 ans ? Sûrement. Peut-on l’être encore à 100 ans. Plus sérieusement, un Président de la République qui aurait accompli ses deux mandats et qui ne pourrait pas se représenter pour un 3ème mandat consécutif, peut-il attendre son tour et se représenter 5 ans après ? On pense bien sûr à Ouattara qui, dans cette hypothèse, fera élire son Vice-président en 2020 pour revenir en 2025, à l’âge de 83 ans. On pense à Bédié, candidat en 2020, à l’âge de 86 ans ? On pense à Daniel Kablan Duncan, autre candidat possible en 2020, à l’âge de 77 ans.

Mais dans mon esprit , les présidents Ouattara et Bédié appartiennent déjà , non pas au passé, ni même à l’histoire , mais à l’Histoire ! Ils ne sont pas des hommes dépassés, des hommes du passé, Ouattara et Bédié sont dans l’Histoire.
Voudront-ils alors se perdre dans des joutes politiciennes où ils ont tout à perdre ? Henri Konan Bédié, sauveur de la démocratie en 2010, en 2015 , sait qu’il risque, s’il est candidat en 2020, de subir une défaite . Son rôle, désormais historique, est de préserver l’esprit et de faire souffler sur la démocratie ivoirienne le souffle de l’ « houphouétisme ». Ouattara lui , en moins de 10 ans, aura redressé le pays. Tous deux ont montré la solidité de leur alliance au service de la réconciliation, de l’unité nationale et de la paix.

1/3 des sénateurs nommés par le Président de la République – Beaucoup reprochent au Président Ouattara d’empiler des strates de pouvoir qui, finalement, n’ont pas, aux yeux des Ivoiriens, une utilité réelle : la Vice-présidence, le Sénat, la Chambre des Rois et des Chefs traditionnels, un appareil d’État qui viendra impacter les finances publiques. Le parlement est désormais composé de l’Assemblée nationale et du Sénat. Si les députés sont élus au suffrage universel direct, 2/3 des sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, 1/3 sont nommés par le Président de la République. L’article 87 précise les critères de ces nominations, qui incluent « des Ivoiriens de l’extérieur et des membres de l’opposition ». Le Sénat a vocation à être une assemblée de sages qui « assure la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire » (article 87), deux domaines-clefs en matière de développement, puisqu’il s’agit de l’équilibre des territoires et du rôle de la diaspora.

La promulgation d’une nouvelle constitution est, pour le Président Ouattara, une nécessité qui va bien au-delà de la simple promesse de campagne. Il s’agit de l’avènement d’une nouvelle République, dont le socle constitutionnel vise à construire une Côte d’Ivoire nouvelle et participer à l’édification d’un Ivoirien nouveau. Le Préambule résume un projet historique qui induit une révolution culturelle. Il appartient aux femmes et aux hommes de la classe politique traditionnelle, aux acteurs publics et privés du développement, à la société civile organisée, de vérifier que l’application des articles de la constitution permet plus de démocratie, plus de croissance inclusive. Il appartient aux partis politiques, aux intellectuels, aux politologues, à tous les Ivoiriens, de débattre sereinement de chaque article, afin de lever toutes les ambiguïtés

L’Intelligent d’Abidjan, en donnant la parole à tous, se fera l’écho de ces débats.

Wakili Alafé

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