Face aux menaces sur les médias en Côte d’Ivoire : revenir aux règles de base du journalisme (Israël Guebo)

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L’année 2017 s’annonce comme celle de l’effectivité de la libération de l’espace audiovisuel en Côte d’Ivoire. Avec pour corollaire, l’arrivée de nouvelles chaines de télévisions. Cette libéralisation naît, enfin, dans un contexte où les ventes des journaux papiers sont en chute libre, où la pratique du journalisme elle-même est décriée par les populations qui préfèrent désormais se tourner vers internet et les réseaux sociaux. Cela n’est pas non plus sans danger. Pour Israël Yoroba GUEBO, il y a un besoin de réforme du secteur. Le journaliste et entrepreneur des médias préconise une réforme qui prend en compte non seulement la pratique du métier, mais aussi l’éthique et amélioration des conditions de vie des médias et de ceux qui les font. Interview.

Comment jugez-vous l’état des médias en Côte d’Ivoire ? Surtout en ces heures où le numérique est presque partout.

Cette question englobe plusieurs aspects.

Au niveau de la structuration, j’avoue que les médias, tous les médias, se sont bien adaptés à l’environnement numérique. Que ce soit la télé, les radios ou la presse papier, tous ont créé un lien de diffusion, de promotion et d’interaction avec le monde virtuel. Je me réjouis, également, d’une démocratisation de la presse en Côte d’Ivoire. J’ai lu récemment que les appels d’offre pour de nouvelles chaînes de télévision vont se poursuivre, après une vague de quatre autorisations. La libéralisation de l’espace télévisuel, longtemps attendue, serait bientôt dans sa phase effective. On constate, par ailleurs, que le secteur de la presse en ligne se renforce, se structure et s’organise de plus en plus.

En somme, l’environnement des médias ivoiriens est riche et varié. Pourtant, il y a encore de nombreux défis à relever. Notamment au niveau de la qualité de l’information. De mon point de vue, c’est le principal enjeu. Il est essentiel pour l’ensemble des journalistes (et des médias par ricochet) de revenir au journalisme de base. Celui qui est guidé uniquement par les règles d’éthique et de déontologie qui fondent notre métier.

Justement, la situation éthique et celle de la condition de vie des journalistes peut-elle s’améliorer ?

Oui, elle peut, et elle doit, s’améliorer. Pour le bien de nos populations. Vous savez, la colonne vertébrale, le carburant de notre métier, c’est l’information. Si vous mettez du mauvais carburant dans une voiture, vous l’endommagez au fil du temps , et vous mettez la vie de vos passagers en danger. C’est pareil pour les médias.

La question de l’éthique est d’abord une question d’appel et de formation. On ne vient pas au journalisme parce qu’on est au chômage , et que c’est l’endroit où se réfugient ceux qui n’ont aucune issue professionnelle. Être journaliste, c’est un appel. C’est un sacerdoce. Et cela nécessite une formation, en plus de la passion qui doit nous animer.

Il est important que les journalistes « professionnels » soient formés, d’une façon ou d’une autre. Et il faut qu’ils soient bien formés. Je le dis souvent, il faut qu’on arrête de se contenter de la formation locale. Elle n’est pas mauvaise, mais elle n’est pas toujours au niveau des standards internationaux , alors qu’aujourd’hui, un média de Côte d’Ivoire est jugé par le reste du monde selon des critères internationaux. La Côte d’Ivoire a donc besoin d’un journalisme de qualité. Quelqu’un disait que le journalisme, c’est comme la chimie. Il y a des règles qu’il faut appliquer pour produire une information de qualité. Justement, si on produit de l’information de qualité, on améliore son audience ou son audimat. Et, forcément, plus on a de lecteurs, d’auditeurs, de téléspectateurs, d’abonnés (pour les agences) ou d’internautes, plus on intéresse les annonceurs.

On peut rêver de voir (enfin) des journalistes bien payés. Bon, dit comme ça, c’est un peu facile. J’avoue. Mais, il faut une réelle volonté des patrons de presse à veiller au bien-être de leurs journalistes. Et c’est aux journalistes de tout faire pour apporter de la qualité au journal et faire grimper les ventes. Les deux vont de pair. C’est un couple.

Le journalisme digital est une discipline bien nouvelle (comparée aux médias classiques qui existent depuis 50 ans). Est-il aussi solide pour perdurer dans le temps ?

Je ne crois pas que la solidité soit liée à la durée. Elle est plutôt liée au modèle économique proposé par le média. Qu’il soit classique ou numérique. Mais, c’est vrai que le journalisme digital est en plein mouvement. C’est normal, il suit le courant du web. Il y a, chaque jour, de nouvelles plateformes, de nouvelles techniques, de nouveaux métiers… et le journalisme, tout en gardant son ADN, doit s’adapter. Le problème, c’est que les médias en ligne n’ont pas le temps de structurer un modèle économique solide. Lorsqu’on pense qu’on a trouvé le bon filon, les internautes ont déjà de nouvelles habitudes. Il faut se réadapter. Tenez par exemple, il y a quelques mois, une nouvelle application web a vu le jour : « Telegraph ». Un outil qui permet de publier un papier en anonyme et de le diffuser dans le monde entier. Pas besoin de se connecter avec un identifiant et un mot de passe. Le journalisme doit s’adapter à ce genre de changement sans perdre son essence.

L’une des problématiques avec ces nouveaux médias est justement la crédibilité de l’information mais aussi des sources ? Comment peut-on y remédier ?

Je pense qu’il y a une nécessité de la mise sur pied d’un organe d’autorégulation, par les journalistes eux-mêmes. Avant tout, je considère la multiplicité des sources sur internet comme une chance énorme. Mais, on le sait tous, il faut ensuite aller sur le terrain. Recouper l’information, la vérifier… Le manque de crédibilité n’a rien à voir avec internet. C’est juste une question de pratique, et surtout de responsabilité de l’homme ou de la femme de média.

Tous les médias en Côte d’Ivoire , (à part peut-être la télévision nationale et les radios commerciales) sont en chute libre. Pour les journaux papiers mais aussi pour les sites web d’information, qui peinent à trouver le bon modèle économique, y-a-t-il une issue ?

La question que les médias doivent se poser est la suivante : « Que veulent les populations aujourd’hui ? ». Cela sous-entend : « Quel type de média est adapté pour eux ? Quel type d’information leur sied ? À quel type de population avons-nous affaire ? ». Une fois qu’on a ces réponses, on peut trouver le modèle adapté. Il n’y a pas de modèle tout fait. Ce qui marche chez l’un peut ne pas marcher avec l’autre.

Au vu de tout ce que vous venez de dire , peut-on dire qu’il y’a de l’espoir pour les médias en Côte d’Ivoire ?

L’espoir est permis à condition qu’une réelle politique de réforme soit mise en œuvre. Réforme de la mentalité des journalistes, réforme des structures, réforme au niveau de la formation, reforme au niveau de la qualité de l’information.

In L’intelligent d’Abidjan

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