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Journaliste culturel vivant en France, John Ayité Dossavi est le président du Réseau africain des promoteurs et entrepreneurs culturels (Rapec). Après la célébration le 24 janvier 2020, à Abidjan et dans plusieurs autres pays, de la Journée mondiale de la culture Africaine et afrodescendante (JMCA) dont il est l’initiateur, John Dossavi nous a accordé cette interview, dans laquelle, il remercie le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, parrain de la célébration en Côte d’Ivoire.
Quel bilan pouvez-vous dresser de l’édition 2020 de la Journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante ?
Je ne crois pas que je suis dans une démarche de parler de bilan. Je n’ai pas organisé d’évènement. Le Rapec n’a pas organisé d’évènement. Le Rapec a lancé une synergie à soutenir. Ce sont les organisateurs ou les participants qui doivent être satisfaits de leur manifestation. Moi, je ne peux que les encourager. Je ne suis pas là pour donner du bon point ou du mauvais point à telle ou telle personne. En tout cas, je peux tout simplement les remercier de leur engagement. Que ce soient ceux qui sont du côté de Bukavu en Congo RDC, ceux qui sont du côté de Montreuil, Paris 11ème et 20ème, au Togo, à l’Unesco, au Bénin, à Accra, en tout cas, il y a eu beaucoup de manifestations que nous avons coparrainées ou soutenues. En dehors de cela, il y a des manifestations qui se sont déroulées dont nous ne sommes pas forcément partie prenante. Mais, en tout cas, nous pouvons tout simplement dire merci à toutes ces personnes qui, par leur détermination, leur volonté, veulent afficher clairement que l’Afrique peut porter un projet qui peut devenir un projet d’universalité.
Quel est l’impact économique et politique sur les populations africaines et afrodescendantes ?
Quand on parle de l’impact économique, je crois que beaucoup de personnes ne font pas attention. Une manifestation culturelle est une source de revenus. Parlons tout simplement des médias comme vous. Quelqu’un qui veut organiser un gros concert ou une manifestation économique, vient prendre des encarts dans vos magazines et il paie. Donc déjà, il contribue à l’économie. Quand il loue une salle, il paie et il contribue à l’économie. Il utilise de l’énergie pour faire les spectacles, il paie tout comme la sono et la billetterie. Je crois que quelque part avec cette question “quel est l’impact de la culture dans l’économie””, on fait insulte aux promoteurs, entrepreneurs culturels. Je trouve vraiment que tout ça doit être défini. Il faut que l’activité culturelle soit reconnue comme une économie à part entière. C’est notre combat, c’est notre lutte depuis la création de notre Ong, Rapec. Et c’est nous qui sommes à l’origine du premier congrès panafricain sur le rôle de la culture dans le développement de l’Afrique d’autant plus que si nous disons le premier congrès panafricain, ce n’est pas juste une manière ou un abus de langage. Non. La première fois que les filles et fils d’Afrique qui sont des promoteurs, entrepreneurs culturels, ont décidé de réfléchir sur le rôle de leur activité dans l’économie, c’est nous qui l’avons fait. Ce congrès panafricain, nous l’avons organisé avec l’Unesco, avec comme partenaires les Acp, les cités et gouvernements unis locaux d’Afrique, les chefferies d’Afrique. La culture est une source d’emplois, une source qui fait rentrer des devises dans nos États. Il faut vraiment que ce secteur soit organisé.
Et l’aspect politique ?
L’Union Africaine en 2006, dans le cadre de son sommet des chefs d’État, a décidé d’adopter une charte intitulée La Charte de la renaissance culturelle africaine. Pour moi, ce fut une grande satisfaction de tomber sur cette charte. Parce que tout y est pour donner espoir à tout un peuple, à toute une jeunesse. Il ne suffit pas seulement d’adopter une charte. Il faudrait aussi ratifier cette charte et la mettre en application. Dans le cadre de notre recherche d’une date symbolique et contemporaine pour célébrer la Journée mondiale de la culture Africaine et afrodescendante , nous sommes tombés sur la date du 24 janvier, date de l’adoption de cette charte. Il faut que les gens comprennent bien que ce n’est pas la charte que nous célébrons. C’est une journée et nous avons empruntée cette date du 24 janvier. Ce n’est pas l’inverse, parce que beaucoup de personnes font l’amalgame. Ils croient que notre démarche, c’était de célébrer la charte de la renaissance africaine. Non ! Les hommes politiques, les États qui ont adopté cette charte, il leur revient de droit de faire la promotion de cette charte. Nous, on le fait spontanément à travers la journée mondiale de la culture africaine qui a emprunté cette date. Je tiens vraiment que cela soit souligné. Il faut que chacun puisse prendre sa responsabilité. La politique culturelle doit être au cœur des préoccupations de nos États sur le continent africain. Ce n’est pas normal qu’on considère l’activité culturelle comme une activité exutoire. D’autres disent même que la culture est reléguée à la 5ème roue de la carrosse. Tout cela me fait de la peine, parce que je suis quelqu’un qui vit en Occident depuis plusieurs années. Je vois comment la culture, combinée avec le tourisme, ramène beaucoup de devises. Prenons le cas de la France. Depuis plusieurs années, Paris est la capitale la plus visitée au monde. Vous croyez que tous ceux qui quittent chez eux pour venir à Paris, viennent parce que ça s’appelle Paris ? Non. Ils viennent parce qu’il y a une bonne attractivité culturelle dans le pays. Il y a des musées, et d’autres activités culturelles. Il faut investir dans la culture. Je suis très fatigué de le dire toujours; de constater que ce que nos dirigeants voient ailleurs qui leur fait plaisir, ils ne veulent pas le faire chez eux. Aujourd’hui, la politique africaine doit saisir cette balle au bond à travers cette journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante. Qui suis-je moi, pour pouvoir dire un jour “je veux doter tout un peuple d’une journée mondiale pour célébrer ses valeurs, ses traditions, ses us et coutumes”? Donc, à partir de ce moment, je rends grâce à Dieu, je ne peux que dire que je suis l’instrument de mes ancêtres. Et nous faisons notre douce révolution culturelle. Il y’a d’autres qui ont fait leur révolution culturelle, nous pouvons aussi dire que c’est une révolution culturelle. Nous sommes le premier continent à se doter d’une journée mondiale pour célébrer sa culture. Il n’y a pas la journée mondiale de la culture européenne. Il n’y a pas la journée mondiale de la culture asiatique. Il n’y a pas la journée mondiale de la culture américaine. Dieu merci aujourd’hui, la journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante que j’ai relevée depuis 1986, est devenue une réalité en 2019, et est reconnue par 193 États-membres de l’Unesco. On ne peut pas faire mieux. Si quelqu’un vous dit qu’on peut faire mieux, c’est que cette personne ne vit pas sur notre planète. Sur cette planète terre, si l’Unesco, organisation des Nations unies pour la culture l’éducation et la science, qui est au-dessus de toute institution intergouvernementale, reconnaît la journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante, je crois que toutes les filles et fils d’Afrique doivent chanter “Cocorico”. Nos chefferies africaines doivent se lever comme un seul homme dans leurs palais, pour célébrer la journée mondiale. Pourquoi, ils attendent vraiment que les Occidentaux commencent à célébrer la fête là-bas?
Je crois que quelque part, nos dirigeants doivent mettre au cœur de leurs préoccupations, l’activité culturelle, surtout cette date-clé qui est la date du 24 janvier, qui doit devenir une date dans les avenirs proches, une date fériée et célébrée. Il faut faire de cette date, une date fériée et célébrée pour donner un espoir à toute une jeunesse parce que nous, notre génération dira dans 20, 30, 40 ans que après les pères des indépendances qui se sont battus pour libérer le territoire, notre génération s’est battue pour mettre en place une journée pour rendre hommage à l’Afrique. On ne peut pas vouloir être en compétition avec les autres en abandonnant ce que nous sommes nous-mêmes, en ne célébrant pas ce que nous sommes nous-mêmes. Les asiatiques, aujourd’hui, nous donnent une belle leçon. On ne peut pas entreprendre en singeant les autres, ou en mettant le pied dans le plat de ce que nous sommes, ce que nous devons être. Donc en gros, je crois bien évidemment que le rôle de nos dirigeants est capital dans cette démarche. Nous, les filles et fils d’Afrique, avons pris à bras-le- corps la chose. Comme dirait un grand chef d’État américain “ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, posez-vous plutôt la question de savoir ce que vous pouvez faire pour votre pays. Nous jouons notre partition. Je ne vais pas continuer à paraphraser les gens, mais je crois que celui-là aussi, il faut le citer. Frantz Fanon disait “chaque génération , doit chercher sa mission, l’accomplir ou la trahir”. Nous, notre génération ne va pas trahir sa mission. On voit combien cette jeunesse a envie de quitter cette terre parce que l’Eldorado se trouve ailleurs. Pendant ce temps, les autres se disent que l’Eldorado, c’est l’Afrique. Soyons au moins fiers de ce que nous sommes. Le 24 janvier n’est ni la date de John Dossavi, ni la date du Rapec, ni la date des amis du Rapec, c’est une date qui nous appartient tous.
Vous avez dit que le 24 janvier doit être un jour férié en Afrique. Ne pensez-vous pas qu’après l’indépendance politique vous vous battez aujourd’hui pour l’indépendance culturelle pour les pays africains?
Ce serait trop prétentieux de ma part ! Ce n’est pas à moi de dire que je me bats. Je ne fais que remplir ma mission, jouer ma partition. Libre à ceux qui estiment vraiment que je joue un rôle capital, libre à eux de m’encourager, de me féliciter, mais moi, je ne joue que ma petite partition. Elle sera grande demain et peut-être, je verrai ça de mon vivant, peut-être pas ! Mais, en tout cas aujourd’hui, je reconnais une chose, c’est qu’il y a des centaines de milliers de personnes qui partagent la même vision que moi. Maintenant, je veux vraiment que les journalistes africains créent le réseau des journalistes soutenant la journée mondiale de la culture africaine. C’est très important ! Parce que c’est à vous qu’incombe vraiment l’avenir de notre jeunesse. C’est à vous d’éclairer cette jeunesse. Nous nous sommes tout simplement de simples éveilleurs, mais après l’éveil il faut vraiment entretenir une journée, mais on n’a pas toutes les clés. On est complémentaire sur la terre ne formant qu’une chaîne. Chacun de nous est le maillon de cette chaîne, donc en gros il est extrêmement important que par exemple il y ait des réseaux qui créent les conditions pour que le 24 janvier soit célébré. L’Afrique n’a pas besoin de faire une révolution sanglante. L’Afrique n’a pas besoin aujourd’hui d’aller à l’abîme. Nous sommes le berceau de l’humanité. Le jour où l’Afrique se portera bien, l’humanité ira mieux. Rien ne va dans le monde. L’injustice, l’intolérance, nous ne faisons que des guerres stupides entre nous. On se pose même la question pourquoi les Africains sont en train de s’autodétruire, d’autant plus qu’ aujourd’hui, nous sommes tous dans le même bateau, dans la même galère pendant ce temps les autres savent que nous ne sommes pas unis. C’est d’ailleurs pour ça que les autres sont bien installés chez nous, alors que nous ne pouvons pas nous installer mieux chez eux. Déjà même, là où nous sommes ailleurs sur ce continent d’Europe et bien évidemment de ce continent, nous ne sommes même pas organisés. Il n’y a aucune unité qui nous lie à l’extérieur à part bien évidemment des associations villageoises où on sait qu’on n’est tous de Gao, on parle la même langue. Mais, l’Afrique ne s’arrête pas que sur chacun de nos villages. Je n’ai pas envie d’être celui qui va vouloir montrer qu’il est révolutionnaire. Je sais qu’il y a beaucoup d’entre nous qui font la révolution dans le canapé sur les réseaux sociaux, qui lancent des appels et d’autres sont des présidents d’ONG qui veulent tout chambouler, changer. Tout ça doit se faire dans la paix. L’ambition et le slogan de la Jmca pour ce qui nous concerne, nous les initiateurs, le 24 janvier doit être en priorité une journée de pardon et de paix. Sans la paix, vous ne pouvez rien construire. Sans le pardon, vous ne pouvez pas avoir la paix. La paix et le pardon, le pardon et la paix, c’est comme le jour et la nuit. Ce sont les deux qui fonctionnent ensemble pour l’harmonie d’une société. Donc, nous voulons de tous nos vœux que le 24 janvier puisse devenir une date d’universalité. Cela l’est déjà parce que quand vous voyez les pays qui ont coparrainé le projet de résolution, vous vous dites que l’Afrique est quand même aimée. Quand on prend un pays comme Azerbaïdjan qui a coparrainé le projet de résolution pour la Journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante, quand l’ambassadeur d’Arabie Saoudite me voit et exprime sa solidarité , je voudrais dire tout simplement que ce n’est pas à moi. Ils ne font pas honneur à John Dossavi. Ils font honneur à un continent. Personne ne peut faire notre bonheur à notre place. C’est la même répétition que nous allons faire pour que ça rentre dans l’oreille de ceux, qui ne sont pas sourds, mais qui veulent se faire passer pour des sourds. Rien de grand ne peut se faire si nous-mêmes ne prenons pas à bras-le- corps ce qui nous est l’essentiel. Personne ne peut faire de nous, des grands. Mais, c’est exactement ce qui se passe sur le continent. Nos icônes ne doivent pas se limiter aux footballeurs et aux artistes. Le 24 janvier ne doit pas être juste une date de célébration, ça doit être en même temps une date de réflexion, d’immersion, de communion, de partage et surtout de paix et de pardon. Cela doit être le mot d’ordre dans le futur proche de la Jmca.
Quel est le message que vous avez à passer aux hommes politiques ?
Vous savez nous sommes tous quelque part politique dans l’âme. Quel message nous devons retenir? Les dirigeants ne doivent pas nous regarder de loin. La journée mondiale de la culture Africaine et afrodescendante, c’est une bonne chose. Moi, je vous encourage. Je suis fatigué d’encouragement. Je veux vraiment que nos dirigeants puissent dire “nous allons nous engager, ça nous appartient”. Je suis fatigué que nous célébrons le premier janvier sans connaître même l’origine. Le premier janvier fait partie des réformes de Jules César, 46 avant notre ère, en portant l’année de 345 jours à 366 jours. C’est au 16ème siècle seulement que l’Église catholique s’est appropriée cette date comme référence de 8ème concision de Jésus-Christ. C’est pour cela que d’autres disent que c’est une date grégorienne ou julienne. Et l’Église catholique a imposé cette date à tous les pays chrétiens. Mais nous les Africains, nous sommes le berceau de l’humanité. Soyons un peu digne. Le 24 janvier, c’est par la prière que j’ai trouvé cette date. C’est une confidence que je vous fais. J’ai prié, j’ai demandé à Dieu de m’éclairer sur une date qui sera une date irréfutable. C’est dans cette prière que je suis retourné sur Internet et j’ai tapé “Renaissance africaine”. Je suis tombé sur la charte de la renaissance culturelle africaine. Moi, journaliste culturel en France depuis près de 25ans, je ne savais même pas qu’il y a une charte qui a été adoptée par les chefs d’État et de gouvernement. Ça veut dire tout simplement que beaucoup de textes, de grandes valeurs ont été adoptés, peut être beaucoup sont encore dans les tiroirs. Quand nous avons pris à bras le corps de faire la promotion de cette charte, il n’y avait que six pays qui l’ont ratifié. Et aujourd’hui, au dernier recensement, ils étaient 13. Moi mon objectif, ce n’est pas de faire la promotion de la charte de la Renaissance culturelle. Mon objectif c’est de faire de la promotion de la journée mondiale de la culture Africaine et afrodescendante. Les chefs d’État et de gouvernement qui ont adopté la charte de la renaissance, ça leur revient de droit de faire la promotion. Maintenant, nous pouvons les accompagner, mais nous ne pouvons pas nous mettre à la place des chefs d’État et de gouvernement pour dire que nous voulons faire la promotion de la charte de la renaissance. Nous avons emprunté la date du 24 janvier étant la date de l’adoption de la charte de la Renaissance culturelle africaine pour en faire une date contemporaine irréfutable par tout le monde. Parce que le problème qui se pose, c’est que quand vous allez choisir une date, on va vous poser la question << cette date, elle est liée à quoi?, Pourquoi, cette date par rapport à d'autres dates?>>. Il m’est venu de prendre même la date de l’anniversaire de Nelson Mandela pour en faire la journée de la célébration de nos valeurs, mais d’autres diront que c’est politique. J’avais pensé à Myriam Makeba, d’autres diront que c’est musical. J’ai pensé à Paul Ayo, grand plasticien des années 50, 60. Et dans la prière, dans l’éclairage de Dieu, je suis tombé sur cette charte qui est une réalité. Donc, il y a la journée de l’Afrique qui est le 25 mai qui une date totalement portant sur la naissance de l’Union africaine. Et il y a la date du 24 janvier qui est la date l’adoption de la charte de la Renaissance culturelle africaine et les deux dates ne cohabitent pas, ne coïncident pas . Elles se complètent. La journée mondiale de la culture Africaine et afrodescendante devient une passerelle entre les filles, fils d’Afrique qui sont sur le continent et filles et fils d’Afrique qui sont éparpillés dans les Caraïbes, dans les Antilles, en Amérique du Nord en Amérique du Sud. Je crois bien évidemment qu’à mon humble avis tous les dirigeants africains et des pays d’Afrodesendance tels que Jamaïque, Cuba, Haïti, République Dominicaine et j’en passe bien évidemment les meilleurs, les territoires d’Outre-mer tels que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, puissent vont adopter la date du 24 janvier comme date de la célébration de nos valeurs, de nos us, de nos coutures, en gros, la journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante. Pour terminer, permettez-moi de remercier le Togo et la Côte d’Ivoire. J’insiste sur la Côte d’Ivoire, parce que nous avons bénéficié du parrainage de Monsieur le Premier ministre , Amadou Gon Coulibaly. Le ministre de la culture a apporté son appui à la célébration du 24 janvier dans le pays. C’est ce que nous attendons de nos autorités politiques.
Interview réalisée par MO avec KN