Dernère publication
L’Etat, le marché, oui, mais… il faut aussi la culture, car le désir d’avenir et du vivre ensemble ne s’arrête pas à la réussite économique d’un pays
Les limites du consensus de Washington
Les politiques d’ajustement structurel ont, depuis les années 1980, fait du marché le moteur du développement économique de toute l’Afrique subsaharienne, Le consensus de Washington a permis d’imposer un corpus théorico-économico-politique commun à tous les Etats africains, qui ont joué le jeu en acceptant de conduire des politiques néolibérales. Même si des Etats comme la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Rwanda présentent des modèles de développement différents, on retrouve l’Etat qui offre au marché un environnement national attractif pour l’investissement national ou international. Mais si la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Rwanda rayonnent avec des économies fortes, leur économie ne suffit pas à créer un avenir désirable et à donner forme au vivre ensemble, lorsque se posent les questions de la réconciliation et de l’unité nationale. Le consensus de Washington a montré ses limites, puisqu’il n’a pas permis de lutter efficacement contre la pauvreté et la corruption. Comment créer ce désir d’avenir commun dans chaque Etat, mais aussi pour toute l’Afrique ? Le désir d’avenir et du vivre ensemble ne peut pas être un projet uniquement économique ou fondé sur une « hystérisation » du sentiment nationaliste ou ethnique (dans le cas de l’appropriation du pouvoir par un groupe).
La fierté d’appartenir à une nation
Le désir d’avenir et du vivre ensemble naît de la fierté d’appartenir à une nation. Ce désir, Houphouët-Boigny avait su le créer. Parce qu’il n’était pas paralysé par les drames de la colonisation, il avait réussi à bâtir la jeune nation ivoirienne à partir de « soixante tribus qui ne se connaissaient pas », en donnant aux Ivoiriennes et aux Ivoiriens la fierté de se regarder dans le miroir de Histoire. Le « miracle ivoirien » survenu en Côte d’Ivoire dans les années 1960-1970 ne s’arrête pas à la prospérité économique fondée sur l’organisation de l’Etat et le développement du marché. Le projet de donner forme à l’avenir et au vivre ensemble tient à la capacité d’un leader charismatique comme Houphouët-Boigny de bâtir une identité propre, une identité politico-culturelle nouvelle qui, sans nier le passé, s’affranchit des fractures ethniques, tribales et régionales. Cette capacité, on la retrouve chez un Paul Kagame qui a réussi à sortir le Rwanda du traumatisme du génocide de 1994. La trajectoire du Rwanda depuis cette date ne se réduit pas à un redressement économique spectaculaire. « En 1994, il n’y avait pas d’espoir, seulement les ténèbres. Aujourd’hui, la lumière irradie de cet endroit. Comment cela est arrivé ? Le Rwanda est redevenu une famille », aime à déclarer Paul. Kagame. En plus de l’Etat et du marché, le désir d’avenir et le vivre ensemble se construisent sur un écosystème incarné par un leader charismatique qui promeut l’unité et l’identité nationales, la justice sociale et l’égalité des territoires, le capital humain, des institutions inclusives et une culture nationale. Ce sont des normes qualitatives, comme l’importance donnée aux questions sociales, à la réconciliation, à la stabilité politique et à la paix, beaucoup plus qu’une norme quantitative trop abstraite comme le taux de croissance, qui créent ce sentiment de fierté d’appartenir à une nation.
La culture comme norme qualitative de l’identité africaine
Des événements comme la JMCA (Journée Mondiale de la Culture Africaine) ou La Semaine Africaine de l’UNESCO sont des événements majeurs qui permettent aux sociétés africaines de se réconcilier avec elles-mêmes et aux sociétés occidentales de porter sur l’Afrique un autre regard. L’universalisme culturel civilisationnel est un leurre qui a permis à l’Occident d’asseoir sa domination sur le monde. Victor Hugo et Hegel, des esprits pourtant éclairés et progressistes, justifieront la colonisation. Dans son Discours du 18 mai 1789, connu sous le nom de « Discours sur l’Afrique », Hugo écrira : « Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ». Les plus grands humanistes ont partagé cette vision de la « mission civilisatrice » de la colonisation, ce qui a conduit à nier la culture africaine comme norme qualitative de l’identité. Consacré aux arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, le musée du Quai Branly, voulu par Jacques Chirac, s’est appelé, au début, « Musée des arts primitifs », puis « Musée des Arts premiers ». Quelle erreur ! En 1990, paraissait une Tribune dans Libération, signé par 150 personnalités (dont Tinguely, Senghor et Arman) : « Pour que les chefs-d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux ». Les Chefs d’Etats africains doivent prendre conscience ce que signifie cette tribune et mesurer l’importance qui doivent accorder à la culture pour donner forme au désir d’avenir et au vivre ensemble.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de
l’Université de l’Atlantique
Directeur des Coll.
L’Afrique en Marche
et Planète Francophone