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Vers une crise du financement
Comme le préconise Emmanuel Macron, le Président français, et comme le demande Macky Sall, le Président sénégalais, l’annulation de la dette publique africaine est une nécessité, car les conséquences de la pandémie mondiale vont être considérables pour le continent, qui aura besoin d’argent. Or, l’endettement de l’Afrique est passé, entre 2008 et 2018, de 38 % à 56 % de son PIB, ce qui semble « soutenable », si l’on compare l’endettement de la France qui atteindra sûrement 150 % de son PIB à l’issue de la crise. Mais, comparons ce qui est comparable : les marchés financiers seront toujours disposés à prêter à la France de l’argent à taux réduit. Pour l’Afrique, qui est sur le chemin d’une croissance nulle, l’argent va devenir une denrée rare. Selon Jean-Michel Severino, président du fonds Investisseurs et partenaires, « le problème d’un Etat n’est pas tant le montant de sa dette rapporté au PIB que sa capacité à se financer. Or, les Etats africains ont un accès réduit aux marchés financiers et ils en auront besoin au moment où l’Occident sera sans doute lui-même confronté à une crise des financements ». Le moratoire sur le paiement des intérêts et du capital jusqu’à la fin de l’année 2020 annoncé récemment par les vingt pays les plus riches du monde n’est pas suffisant. De plus, la somme de toutes les contributions annoncées – FMI, Banque mondiale, Banque Africaine de Développement (BAD), Eximbank, etc. – ne répond pas, non plus, aux besoins de la crise. Ce qui est vrai pour les pays les plus riches du continent est encore plus pour les pays les plus pauvres. La crise du financement va aggraver une crise économique qui sera d’une violence inouïe pour les Etats et les populations, après des années de croissance forte et continue. Entre 2015 et 2017, 5 pays africains, dont la Côte d’Ivoire, ont connu une croissance entre 7 et 9 %., ce qui les avait installés sur la voie de l’émergence.
Vers une croissance nulle
Selon Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, « à cause de la dynamique démographique, une croissance nulle créera près de 50 millions de pauvres ». Symbole de l’effondrement des ambitions économiques du continent, la compagnie aérienne Ethiopian Airlines, détenue à 100 % par l’Etat, lutte aujourd’hui pour sa survie, alors que sa devise, « l’esprit nouveau africain », incarnait la renaissance du continent. Pour son PDG, Tewolde Gebremariam, Ethiopian Airlines, si elle ne fait pas faillite, mettra des années à se relever. Le Fonds Monétaire International (FMI), dans ses perspectives économiques publiées le 15 avril 2020, fait l’analyse suivante : « l’Afrique subsaharienne est confrontée à une crise sanitaire et économique sans précédent qui menace de faire trébucher la région et d’inverser les progrès constatés ces dernières années sur le front du développement ». Selon la Banque mondiale, l’Afrique va connaître, en 2020, une récession comprise entre -2 % et -5 % son PIB, alors que la croissance était annoncée à 3,2 % avant la pandémie. La Banque mondiale énumère la conjugaison des facteurs responsables de ce recul dramatique : « Désorganisation des échanges et des chaînes de valeur, qui pénalise les exportateurs de produits de base et les pays fortement intégrés dans les filières mondiales ; réduction des flux de financement étrangers (transferts de fonds des migrants, recettes touristiques, investissements directs étrangers, aide étrangère) et fuite des capitaux ; impact direct de la pandémie sur les systèmes de santé ; et perturbations consécutives aux mesures de confinement et à la réaction de la population. » Avec la chute des cours des matières premières, dont le pétrole, les économies des poids lourds africains (Nigéria, Afrique du Sud, Angola) sont à l’arrêt. Mais, il faut aller au-delà de la crise économique qui touche les finances publiques et le secteur formel. Je retiens, parmi ces facteurs, deux phénomènes qui vont aggraver la pauvreté : la « réduction des flux de financement que représentent les transferts de fonds des migrants » et l’arrêt de l’économie informelle. En Afrique, 7 emplois sur 10 relèvent du secteur informel qui permet uniquement d’assurer la survie au jour le jour des populations.
Vers une crise alimentaire
La crise sanitaire a engendré une crise économique et sociale. (Dans ma prochaine Chronique – L’Intelligent d’Abidjan du lundi11 mai 2020 – j’aborderai la question de la crise politique). Mais, derrière cette crise, se profile une crise alimentaire. Deux facteurs vont engendrer cette crise alimentaire : la production agricole du continent risque de se contracter entre 2,6 % et 7 % en 2020 et tous les pays africains importent massivement leurs besoins alimentaires. En raison du confinement, il est impossible de relancer les productions locales et de maintenir les importations en intensifiant le commerce intra africain. « Importations ralenties, chute des exportations, difficultés financières : au-delà du défi sanitaire, le continent africain doit repenser sa sécurité alimentaire », selon la journaliste Viviane Forson dans un article publié par Le Point Afrique. Elle ajoute : « l’épidémie de coronavirus met en péril la sécurité alimentaire des pays africains qui dépendent des importations de denrées alimentaires et des exportations pour les payer.» Les crises alimentaires sont provoquées par des problèmes d’approvisionnement et des difficultés financières pour importer. Selon le Programme Alimentaire Mondial, l’Afrique est confronté aux deux problèmes en même temps en ce moment.
La crise du Covid 19 doit conduire l’Afrique à réfléchir dès à présent sur les conditions de sa reconstruction, lorsque la pandémie aura disparu. Tous les domaines sont concernés, comme sont concernées les grandes orientations des politiques publiques (santé, éducation, etc.). Deux domaines s’ouvrent à la réflexion, l’exportation et les importations : moins exporter des matières premières brutes en créant localement des chaînes de valeur ajoutée, moins importer de produits finis en développant un réseau dense de PME et de PMI. Est-ce possible avec autant de dettes et un simple moratoire sur l’endettement ?
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur des Collections
L’Afrique en Marche,
Planète francophone