LA CHRONIQUE DU LUNDI : L’AFRIQUE PEUT-ELLE SORTIR DE LA MARGINALITE AVEC TOUS LES « AMIS », ANCIENS ET NOUVEAUX, QUI LA COURTISENT ?

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Le drame de l’Afrique est que tous ses « amis », au moment de la colonisation et au lendemain des indépendances, jusqu’à nos jours, ont toujours voulu l’assujettir à leurs propres intérêts géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques. L’Afrique est aujourd’hui encore marginalisée. Dans les années 2000, la part de l’Afrique dans le commerce mondial n’était que de 2,3 %. Elle était de 4 ,6% en 2011, mais, depuis l’époque coloniale, son rôle se limite à mettre à disposition de ses « amis », anciens et nouveaux, ses matières premières à l’état brut. Seule, une transformation de ces matières premières en Afrique permettra de consolider un processus encore embryonnaire, celui d’une deuxième indépendance, l’indépendance économique. C’est donc un réseau dense d’entreprises, en particulier de PME, qui permettra à l’Afrique de concurrencer ses « amis » sur la scène internationale. Il existe cependant une différence avec le passé : l’Afrique a désormais le choix pour signer des accords commerciaux avec les nombreux partenaires économiques qui la courtisent. L’UE, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Maroc, la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite, etc., tous se précipitent en Afrique. Parallèlement, s’offre à l’Afrique les potentialités du développement du commerce intra-africain, l’une des priorités de l’Union Africaine.

Sortir des pressions extérieures

Les activistes qui continuent à dénoncer une FrançAfrique, qui n’existe plus que comme fonds de commerce, reprochent aujourd’hui à la France de vouloir, comme ancienne puissance coloniale, dicter à certains Etats africains leur conduite. Ce n’est plus le cas avec la politique africaine d’un Emmanuel Macron qui ne se limite plus à l’ancien « pré carré » (1) de l’Afrique francophone. Il faudrait être cependant naïf pour croire qu’il n’existe plus de conditions, c’est-à-dire des contreparties à des coopérations qui se font certes sous le signe du pragmatisme économique, mais en fonction d’enjeux politiques et géostratégiques. Deux exemples : les investissements massifs de la Chine en Afrique et l’engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme à travers le G5 Sahel. En 1994, à Robben Island, Bill Clinton voulait exercer une pression psychologique sur Nelson Mandela, en lui disant : « Nous, monsieur le président, nous, les Etats-Unis, nous vous aimons beaucoup, et sommes fiers d’être vos amis. Mais, certaines de vos propres amitiés nous gênent, comme celles que vous entretenez avec Cuba de Fidel Castro, ou avec la Libye du colonel Kadhafi ». Nelson Mandela, qui n’acceptait aucune pression, avait répondu : « Nous serons toujours vos amis. Mais jamais, jamais nous ne laisserons personne nous dicter quels autres amis nous devons avoir, et lesquels nous ne devons pas garder. Surtout lorsque ces autres amis comptent parmi ceux qui étaient à nos côtés de manière indéfectible, lorsque certains de nos amis d’aujourd’hui étaient plutôt liés à ceux qui nous opprimaient ». On peut comprendre que la présence de la Chine soit acceptée, Pékin ayant soutenu, dès l’origine, les mouvements de libération africains. Lors des différentes Sommets sino-africaines, Pékin ne manquent pas d’évoquer le soutien de la Chine aux mouvements de libération nationale africains. Ce recours incessant à l’histoire est un stratagème éprouvé, qui permet à la Chine de discréditer, implicitement, les anciennes puissances coloniales et l’Occident. Cette pression psychologique est moindre, Pékin n’étant plus dans l’idéologie léniniste et maoïste pure. Les dirigeants chinois sont dans le pragmatisme économique, mais leurs visées sont géopolitiques et géostratégiques, en particulier à travers les « nouvelles routes de la soie ».

La pression économique

Le vrai problème est en réalité la dette africaine à l’égard de la Chine. Le Congo-Brazzaville doit 2 milliards de dollars à la Chine. Lors du dernier Sommet sino-africain des 3 et 4 septembre 2018, à Pékin, Pékin a accepté une faible réduction de cette dette contre de nouvelles opportunités offertes aux opérateurs chinois. Mais ces investissements, largement salués par les pays africains désirant doper leur développement économique, ont également dangereusement augmenté leur endettement et leur dépendance vis-à-vis de Pékin. Le Fonds monétaire international (FMI) fait régulièrement part de son inquiétude, évoquant le cas de Djibouti, un pays de la Corne de l’Afrique, dont la dette publique extérieure a bondi de 50 à 85 % du PIB en deux ans, en raison des créances dues à l’Exim Bank, une institution étatique chinoise. On peut parodier Mao qui disait « La politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre, une politique avec une effusion de sang » pour dire, à notre tour, que « l’économie est une guerre sans effusion de sang ». La pression économique s’accélère sur l’Afrique, ses besoins étant énormes et elle doit répondre aux demandes des populations, avides de croissance et de consommation. Or, malgré son potentiel énorme, l’Afrique, contrairement à l’Asie, le développement de l’Afrique ne suffit pas pour faire reculer de façon significative la pauvreté et créer des emplois. L’Afrique est de plus en plus riche, mais les populations toujours pauvres ; la classe moyenne reste, elle-aussi, pauvre. Le paradoxe africain est le suivant : tous les voyants économiques sont au vert, le taux de croissance augmente, mais le taux de pauvreté ne diminue pas au même rythme que l’augmentation de ce taux de croissance. L’une des raisons est que l’économie africaine est orientée vers l’exportation des matières premières, ce qui devait rapporter des devises étrangères et permettre d’importer les produits dont l’Afrique avait besoin. La faillite récente des pays, – Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée Equatoriale, etc. -, qui dépendent uniquement d’une économie de la rente comme le pétrole montre qu’il est urgent, pour les Etats africains, de diversifier leur économie.

La bataille de l’économie et de la démographie

Selon Béchir Ben Yahmed, qui a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960, à Tunis, et qui est le président-directeur général du groupe Jeune Afrique, « l’Afrique est le théâtre d’un match, qu’elle peut perdre, entre deux croissances : celle de la démographie et celle de l’économie. Des cinq continents, le nôtre est celui où la croissance démographique des pays les plus pauvres – et, parfois, celle des pays mieux dotés mais mal gouvernés – est égale ou supérieure à celle de l’économie. ». Le Président français, Emmanuel Macron, est intervenu plusieurs fois sur le lien qui existe entre la croissance économique et la croissance démographique. Il n’a pas toujours été toujours compris. Or, pour sortir de la marginalité et tenir le rang qui doit être le sien dans la mondialisation, l’Afrique doit être en capacité de donner à ses populations, en particulier les jeunes, le logement, la santé, l’éducation et le travail dont elles ont besoin. Or, l’Afrique compte aujourd’hui 400 à 500 millions de pauvres, qui n’ont même pas l’électricité, sur 1,3 milliard d’habitants. Ses « amis », anciens et nouveaux, sont-ils prêts à l’aider à gagner ce match entre la croissance et la démographie?

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur général de la société ECFY
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche
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(1)C’est en 1673 que cette expression, qui désigne une double ligne de fortifications, est née par une lettre de Vauban adressée à Louvois. Métaphoriquement, « Défendre son pré carré » signifie protéger une zone d’influence.

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