LA CHRONIQUE DU LUNDI LES GRANDS ENJEUX AFRICAINS (3) La question sociale : Le choix des grandes orientations politiques pour une croissance plus inclusive

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L’Etat ou le marché ?

Au lendemain des indépendances, de nombreux pays africains ont vu s’installer des régimes politiques d’inspiration marxiste-léniniste qui faisaient du marché et son idéologie du libre-échangisme les ennemis absolus. Ce soubassement idéologique se nourrissait d’un discours nationalisme qui pensait que le parti unique et l’Etat étaient les seuls recours. La chute du communisme s’est traduite par un vaste mouvement de libéralisation de l’économie à l’échelle planétaire, avec, comme apogée, les programmes d’ajustement économique, les fameux PAS (Programmes d’Ajustement Structurel), le « consensus de Washington » imposant un ensemble de réformes libérale réclamées par le Fonds Monétaire et International (FMI) et la Banque mondial (BM). L’idéologie néo-libérale à la mode délivrait l’injonction suivante : les pays africains doivent s’adapter à la mondialisation. Les PAS avaient pour but d’insérer l’Afrique dans une économie mondiale devenue ultra libérale, d’inciter à des réformes en créant les stimulants et les contraintes du modèle théorique de l’économie de marché : concurrence, vérité des prix, Etat minimum, séparation du marché et de l’Etat. Trop brutaux pour de jeunes Etats-nations dont les économies ne pouvaient pas répondre aux exigences de la mondialisation et se rapprocher de l’optimum libéral, les PAS ont produit en Afrique des effets négatifs : ruine des producteurs locaux, paupérisation des populations et aggravation de la pauvreté des nations.

Le modèle ivoirien selon Houphouët-Boigny

En Côte d’Ivoire, au moment où il construit la nation ivoirienne, le Président Houphouët-Boigny déclare : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social des plus hardis. » Il précisera sa pensée en déclarant : « ce que veut l’Ivoirien, c’est le partage de la richesse et non de la misère. Et pour ce faire, il doit, avant tout, contribuer à créer ces richesses ». Le Père de la nation ivoirienne, qui est, en économie, un libéral nourri d’une pensée sociale, affirmera sans cesse le lien qui existe entre le développement économique et le progrès social. Houphouët-Boigny avait raison, lorsqu’il incarnait cette radicalité de l’équilibre et de la nuance. D’ailleurs, on assiste aujourd’hui à un changement de paradigme à l’échelle de la planète. Là où l’on pensait que l’Etat était le problème, on pense désormais que le principal danger vient du marché et d’une mondialisation sans règles.

Le social, moteur du développement

L’idée qui domine aujourd’hui est la suivante : pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), les politiques sociales deviennent un outil privilégié. La Banque mondiale élève la protection sociale au rang des instruments principaux des stratégies de réduction de la pauvreté en Afrique. Au plan mondial, le libéralisme intègre aujourd’hui, comme le faisait Houphouët-Boigny à son époque, un modèle de développement qui prend en compte les droits des plus pauvres à travers des programmes de protection sociale. On constate que le développement fondé sur le retrait de l’Etat, ou sa disparition au profit du marché, tend à aggraver les inégalités. Certes, le marché africain est capable de produire des richesses. Les jeunes générations ont une fibre entrepreneuriale qui leur permet de créer et de s’adapter aux modes de productions capitalistiques ; leur grand dynamisme tend à faire oublier le rôle historique des Etats dans les décollages de pays africains comme en Afrique du Sud ou, dans un mode très différent, en Côte d’Ivoire. Ce qui est dangereux, lorsqu’il est question du développement, ce sont les formulations les plus extrêmes qui dénoncent le rôle de l’Etat ou affirment une confiance absolue dans le marché. J’en reviens à l’enseignement d’Houphouët-Boigny et à la radicalité de l’équilibre entre l’Etat et le marché.

Le Rapport de la Banque mondiale sur la Côte d’Ivoire

Le 8e rapport sur la situation économique de Côte d’Ivoire publié le 21 février 2019 par la Banque mondiale note que les taux de croissance du pays figurent parmi les plus élevés du continent. Pour la septième année consécutive, le pays atteint un taux de croissance au-dessus des 7 %. Mais, la croissance économique ne se traduit pas par une amélioration la vie des populations au quotidien et les inégalités se creusent. Si le gouvernement doit continuer à encourager le secteur privé, il doit aussi promouvoir « une croissance plus inclusive », c’est-à-dire un meilleur partage des richesses.

Pour tous les observateurs, l’élection présidentielle de2020 se jouera sur la question sociale. D’ailleurs, le Premier ministre ivoirien, Amadou Gon Coulibaly, multiplie actuellement les messages destinés à mettre en valeur la politique sociale de son gouvernement.

Christian Gambotti
Professeur agrégé
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur des Coll.
L’Afrique en Marche,
Planète francophone

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