Rediffusion-lettre ouverte au Président Gbagbo en 2004 : “dans un 1er tour, c’est Bédié qui perdra”

9248

Dernère publication

Écrite et diffusée pour la première fois en 2004, en prélude aux élections de 2005 qui n’auront lieu qu’en 2010, cette lettre ouverte a été publiée à nouveau en novembre 2010. 14 ans après avoir été publiée pour la première fois, elle garde encore en certains points  sa pertinence. Elle permet également de comprendre bien de chose par rapport à ce qui se passe en ce moment. Nous la publions à nouveau.

« Par où puis-je commencer cette lettre que j’ai annoncée sans l’avoir déjà écrite, m’enfermant dans un délai que je suis tenu de respecter ?

Mes souvenirs me ramènent à cette foi que vous tentiez de communiquer à un de vos amis en août 2000. Nous étions à quelques semaines de l’élection présidentielle. Revenant des funérailles dans la région de Gagnoa, votre ami a fait escale à Mama votre village que j’avais visité la première fois en 1995 pour un reportage après le boycott actif. Allou Eugène, Lida Kouassi, Sokouri Bohui, que j’ai pu identifier parmi tant d’autres, étaient présents. Au retour d’un long tête-à-tête avec vous, votre ami a pris la route, très pensif, ne sachant que dire.

Une victoire annoncée

Mais comme nous étions aussi silencieux et tendus que lui, son fils et moi il nous a fait cette confidence : “Laurent vient de me dire que dans quelques semaines, il sera Président. Il dit qu’il ne peut me dire sur quoi sa conviction est fondée, mais il m’a demandé de me tenir prêt pour servir la République“.

Ce genre de secret et de confidence est lourd à porter. Après avoir donc vidé son secret, votre ami est devenu plus relaxe et moi mécontent. Mécontent, car durant tout le séjour passé à Gagnoa et dans votre sillage, je n’ai , à aucun moment, manifesté le désir de vous être présenté. Et je m’en voulais d’avoir snobé le futur président ivoirien (comme FPI mais pas celui de votre collège Dahico). (…)

Cela a suffi, ainsi que quelques articles non laudateurs, pour que, dans votre entourage, l’on me fasse passer pour un anti-Gbagbo.C’est à la  fois vrai et faux.Vrai parce que je ne fais pas partie de ceux qui vous ont voté en Octobre 2000. Rassurez-vous je n’ai pas voté pour Guéi, je suis plutôt resté à l’abri chez moi, loin de l’agitation qui s’annonçait et que je pressentais.

L’avenir de la Côte d’Ivoire se jouait à cette date et j’étais étonné par le gros risque que vous aviez pris de “dealer’’ avec Guéi. J’avais peur pour vous car si le général Guéi avait réussi son holp-up, vous auriez été grillé à jamais, vous auriez été politiquement fini. Votre crédibilité aurait foutu le camp.

En fait le Rdr aussi bien que le Pdci et bien d’autres souhaitaient la victoire de Robert Guei. Un putschiste qui fait des pseudo élections pour se légitimer est plus facile à combattre au niveau des arguments et à balayer qu’un roublard, un boulanger qui n’a que la ruse pour avancer et dont on ne vend pas cher la peau.

Proche du Pdci-Rda et revendiquant surtout un houphouëtisme peu courant chez des jeunes de ma génération, j’ai compris et accepté comme beaucoup d’Ivoiriens qu’il fallait mieux  faire avec vous que de brûler le pays. Affi N’guessan a repris cette façon de faire plus tard en parlant de trêve

4 ans après
Presque quatre ans après, qu’avez-vous fait de cette victoire à l’arrachée, de cette victoire que vous avez refusé qu’on vous vole ? D’abord il y a eu le complot de la Mercédès noire, le complot de la cabine téléphonique, les alertes incessantes au coup d’État et finalement le 19 septembre 2002, un coup d’État manqué mué en rébellion ayant pris le contrôle d’une grande partie du pays, la Côte d’ Ivoire non utile mais la Côte d’ Ivoire quand même.

Que de gâchis ! Que d’occasions manquées ! Je retiens simplement le forum pour la réconciliation nationale. Un bon business, un bon topo  dont les résolutions non appliquées constituent la trame des accords  de Marcoussis et de tous les Accra. Si pour vos adversaires et détracteurs vous êtes le président dont le mandat a coïncidé avec la guerre, pour ne pas dire crûment que vous avez apporté la guerre dans notre pays, moi je plaide pour que vous soyez aussi et surtout le président qui conduit à la paix.

Quel sacrifice n’avez-vous déjà fait ? Ce qui reste à faire me paraît moins difficile que ce qui a été fait.
Comme M. Jourdain vous faites de l’houphouëtisme en le niant, vous appliquez également Marcoussis en le niant sauf  quand vos adversaires veulent vous prendre à défaut.

Excellence M. le président de la République, j’ai l’impression que vous faites un peu trop et exagérément de la politique. Je plaide pour que vous soyez l’homme qui construira la paix. Être Abraham Lincoln demande davantage de sacrifices que ce que vous avez déjà fait. Vous serez le premier bénéficiaire de la paix ! Faites la paix Excellence ! J’en vois qui diront que vous avez déjà assez fait  et que c’est aux autres, au G7 de faire leur part de sacrifice.

Le père de l’Ivoirité contre sa victime

Non Excellence aucun effort n’est de trop ! Car les autres n’ont rien à perdre, ils ont plutôt à vous mettre les bâtons dans les roues pour davantage gâcher votre mandat et prendre votre place. MM. Bédié et Ouattara ont trouvé suffisamment de raisons pour taire leurs différences et se rassembler contre vous. Cela est à la fois une force et une faiblesse. Mais il vous revient de voir votre part de responsabilité dans ce mariage insolite entre le père de l’ivoirité, (de cette ivoirité que vous avez récupérée à votre manière) et la victime de l’ivoirité.
Sur le papier cette alliance fait beau mais elle est bien tardive et surtout choquante et révoltante pour toutes les victimes de ce combat !

Si en Afrique du Sud, Frederik De Klerk a fait la paix avec Mandela, c’est bien parce que ce n’était pas lui l’instigateur de l’apartheid. Fréderick De Klerk a hérité d’un système, et il a estimé que ledit système ne pouvait plus prospérer. Gorbatchev et De Klerk n’étaient pas les concepteurs et les cerveaux des systèmes dont ils ont précipité la chute. Le père de l’ivoirité ne peut pas tuer lui-même l’ivoirité. M. Bédié devait en tirer les leçons et se retirer pour confier ce meaculpa salvateur à quelqu’un d’autre. Pik Botha en Afrique du Sud et d’autres barons du système soviétique se sont d’ailleurs toujours gardés de se renier !

Enfin, le pardon et la réconciliation de M. Bédié auraient été grands et généreux si lui-même n’était plus dans l’arène politique. Il ne pardonne pas pour la Côte d’Ivoire, pour le cœur ; mais il se réconcilie sur l’autel de ses ambitions. Et M. Ouattara la victime de toujours  peut bien donner tous les honneurs à Bédié, flatter son ego pour jouir bien de la vengeance et du plaisir du mea culpa même tardif de Bédié. C’est comme ça la vie et le destin de M. Ouattara : ses détracteurs d’hier deviennent vite ses thuriféraires. On a l’exemple des journalistes qui ont attaqué Ouattara et sont devenus après ses hommes de main. Pas besoin de les citer.

Guéi au pouvoir,

Guéi l’a vilipendé comme Bédié pour se dédire après ! Un vrai brave-tchê cet homme ! Mais le peuple n’est pas dupe. Face à cette situation, Excellence qu’attendez-vous pour faire la paix en appliquant ce qui reste d’Accra et de Marcoussis ? Alors que vous avez résisté dans la guerre et qu’ils n’ont pas pu avoir raison de vous avec les armes et toutes les adversités du monde,  comment croyez-vous  que, la paix retrouvée, vos adversaires vont vous terrasser ? Impossible !

Allez à la paix à leurs conditions, à toutes leurs conditions, car ils savent bien qu’une fois qu’ils auront déposé les armes et que la paix sera revenue, il leur sera difficile de reprendre encore les armes pour un oui ou pour un non. Déjà je devine votre non d’après la guerre mais faites un effort pour ne pas tout remettre en cause.

La génération couper-décaler, zouglou, farot-farot peut vous être acquise. Cette génération n’a pas peur de Marcoussis ni de tous les Accra. Elle veut la paix, elle a besoin de paix pour aller aux élections et pour faroter dans la paix. Le radicalisme qu’il y a souvent autour de vous fait peur et semble faire le jeu de vos adversaires qui en applaudissent.

Ils comptent les jours et sont pressés d’arriver au mois d’octobre 2005, pour s’appuyer sur la partie de la constitution qui les arrange : la fin légale et constitutionnelle de votre mandat. Même si c’était dans des conditions calamiteuses, vous aviez toutefois été élu en 2000 et reconnu comme tel par la communauté internationale après quelques tergiversations et surtout lorsque vos partisans ont pacifié le pays fut-ce au prix d’un charnier et d’autres morts aujourd’hui oubliés au profit des nouveaux martyrs du G7, ceux du 25 mars 2004.

Malgré cette légitimité, certes calamiteuse, qu’ils n’ont jamais vraiment acceptée, vos adversaires vous ont combattu et ont même fait la guerre. À partir d’octobre 2005, ils auront davantage « bouche » pour parler si les élections n’ont pas lieu dans les délais impartis. Selon eux, vous ne pourrez plus revendiquer de légitimité dès le dernier jour de votre mandat. La bataille constitutionnelle qui va s’engager pourrait ne pas séduire la communauté internationale qui trouvera enfin l’occasion de vous transformer en Reine d’Angleterre pour avoir un contrôle sur le processus électoral.

Un million de voix

Songez à cela pour ne pas aller trop doucement ! Songez également aux plus d’un million d’Ivoiriens qui vous ont voté en 2000, et dont je ne fis pas personnellement partie. Quoi qu’en disent vos adversaires, qui pensent que le surplus de cinq cent mille voix sur votre maximum depuis le temps d’Houphouët, est plus dû à la volonté de chasser Guéï que de vous voir au pouvoir, (alors que tel n’était pas le calcul des états-majors qui ont appelé au boycott et qui souhaitaient que Gbagbo se débatte seul), quoi qu’ils disent donc, vous disposez d’un potentiel de voix d’au moins un million. Vous, le  pourtant minoritaire ! Quelqu’un qui croit au vote tribal m’a même dit que le surplus de voix est constitué des Baoulé qui vous ont voté parce que vous aviez promis le retour de Bédié dès votre accession au pouvoir !

Je crois plutôt que vous aviez fait le plein de voix à Abidjan et dans des zones stratégiques et que vous détenez la liste de répartitions des suffrages. En relisant cela, vous deviez enfin comprendre que vous avez intérêt  à aller à la paix hinc et nunc et surtout être étonné que vos adversaires prennent pour du bluff, l’idée de votre réélection en 2005. Les ambitions et les préoccupations des états-majors politiques sont souvent loin des sentiments profonds des peuples.

Je ne sais pas dans quel sens l’article 35 sera modifié après le référendum qui est obligatoire, mais j’ai la conviction que dans un premier tour Gbagbo-Ado-Bédié, c’est le dernier cité qui perdra. Il subira le vote sanction de toutes les victimes du coup d’État , des ivoiritaires non encore repentis qui pillulent dans le Pdci et qui pour éviter des risques inutiles, iront vous voter en masse pour empêcher que l’ancien nouveau frère de M. Bédié, en l’occurrence M. Ouattara accède à la Magistrature Suprême.

Les N’Zi Paul David, c’est-à-dire les nouveaux et futurs judas, il en existe beaucoup dans le pays et dans le Pdci-Rda. Après le Fpi et l’épisode du parti unique, après le Rdr, en attendant les pro Fologo, les pro Banny, à côté des N’Zi Paul David (les pro-Gbagbo minoritaires de Pdci) donnez-vous enfin le temps du répit pour savourer la lente mort du serpent Pdci malgré la réconciliation parisienne des Houphouëtistes !

Part de devoir

Excellence M. le Président de la République, j’ai fait ma part de devoir envers vous et envers les deux autres principaux leaders politiques du pays. Ma part de devoir mais aussi de vérité. Au docteur Alassane Ouattara, j’ai prédit qu’il est en route pour la présidence de la République. On a cru que je négociais sérieusement un poste alors qu’il s’agissait de mettre chacun devant ses responsabilités afin que plus personne ne se dérobe et refuse d’assumer désormais. Afin que nul n’en ignore, pour parler comme les juristes. L’alerte ayant été publique ! Oui tout le monde a été prévenu que M. Ouattara peut être président, contre vents et marées, envers et contre tous.

Avec M. Bédié, j’ai soldé quelques comptes et j’ai suggéré un peu plus de recul, car j’ai le sentiment que toutes les leçons de 1999 n’ont pas été tirées à temps.

Et là, voici mes vérités pour vous. Bien entendu ni, à vous, ni aux autres leaders, je ne peux avoir tout dit ni tout perçu en l’espace d’une lettre, mais je crois avoir exprimé aussi bien le sentiment de vos détracteurs que de certains partisans qui ont certes de l’admiration pour les plus radicaux et durs de vos partisans ; mais qui estiment qu’il y a une autre voie pour la victoire dans et par la paix, même si celle-ci est aux couleurs et aux conditions  de Marcoussis et d’Accra. Ceux-là sont des transfuges du Pdci-Rda, des patriotes à leur manière, des patriotes et pro-Gbagbo non militants.

Parmi eux, quelques uns revendiquent d’avoir été parmi ceux qui ont voté pour vous en 2000.  Ecoutez leur silencieuse détresse Excellence ! Et leur soutien non tapageur…

Par Charles Kouassi, in L’Intelligent d’Abidjan N°329 du 06 Octobre 2004

[ Encadré (Nouveau – encadré ajouté dans la rediffusion de 2010) ]

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts en six ans

Les vérités d’hier ne sont toujours pas celles d’aujourd’hui. Il y a six ans, les chances de victoire de Laurent Gbagbo sur Ouattara étaient très réelles et indiscutables. L’Intelligent d’Abidjan avait prédit il y a six ans la défaite de Bédié au premier tour, et surtout un second tour Gbagbo-Ouattara. Personne n’y a cru. Sans doute des observateurs et proches de Laurent Gbagbo ont évoqué à nouveau auprès de lui, cette opportunité. Hormis Laurent Gbagbo, qui s’est lui-même dit heureux de ce face-à-face avec  Ouattara, peu de personnes dans son entourage ont voulu prendre cette prévision au sérieux. C’est à peine si on n’aurait pas qualifié de vendus, de traîtres, de  RDR et Alassanistes ceux qui pouvaient oser sentir et dire que le RDR peut aller au deuxième tour, et plus si affinités…. En trois semaines, il faut renverser la vapeur et renverser les tendances, là où une réflexion sereine et sérieuse entreprise depuis longtemps aurait aidé à résoudre la solution Ado que propose le RDR et le RHDP. Mais il n’est pas tard. La tâche n’est pas impossible. Elle aurait été plus facile si au sein du camp Gbagbo cela avait été prévu et admis à temps. Que la lutte continue ! Jusqu’au dernier jour, il ne faut pas baisser les bras. Il faut y croire. Rien ne s’obtient sans souffrance, ni bataille, a dit mardi dernier Laurent Gbagbo. En 2000, ça été plus difficile que cette fois-ci. Alors…

Charles Kouassi

Commentaire

PARTAGER